Kant fait l’éloge de Platon dans la 1 ère section de sa Dialectique transcendantale (PUF p.262-265). Il lui fait l’honneur d’avoir décelé le besoin inamissible qu’éprouve la raison de transcender l’expérience, et d’avoir le premier mis en valeur le rôle pratique de l’idée en tant qu’idéal moral. Ces deux thèses sont maintenues par l’idéalisme kantien (« transcendantal »), alors même qu’il récuse ce qu’il y avait à ses yeux de « dogmatique » dans le platonisme (« Platon fut, quoique sans faute de sa part (…), le père de toute extravagance en philosophie » – Sur un ton relevé nouvellement adopté en philosophie, opuscule polémique de 1796).

En sens contraire, Platon est l’une des cibles privilégiées de Nietzsche, pour qui les idées platoniciennes constituent un « arrière-monde (Hinterwelt) », qui n’avait d’autre fonction que de dévaluer ontologiquement et moralement l’existence sensible. La version vulgaire de cette conception est le christianisme, « platonisme pour le peuple » (Par-delà Bien et Mal, Préface). Dans le Crépuscule des Idoles, Nietzsche interprète l’histoire de la philosophie comme le processus par lequel ce « monde vrai devint une fable », processus dans lequel il attribue à la critique kantienne un rôle décisif.
Platon fut-il l’idéaliste qu’on lui fait l’honneur ou qu’on l’accuse d’avoir été ? On peut se demander si le rejet nietzschéen ne dérive pas d’une compréhension réductrice du platonisme, et si Kant ne l’a pas rendu intenable en récusant son dogmatisme métaphysique. Il est à cet égard remarquable que, dès l’Antiquité, la théorie des idées ait fait l’objet d’une controverse déterminante pour la suite de l’histoire de la philosophie. Cette controverse est à l’origine de la dissidence d’Aristote, mais elle a commencé à l’intérieur même de l’Académie, comme en témoignent les textes publiés dans lesquels Platon fait son autocritique…

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