Introduction

1. Il est curieusement difficile de parler de la paix, de la paix elle-même, de la paix telle qu’elle serait, si elle n’était pas opposée à la guerre. Il n’est pas difficile de parler des guerres, même si c’est très douloureux et désespérant : tant de guerres ont existé, existent, existeront ; et des historiens les narrent : les guerres font beaucoup de dates, comme dirait Patrick Boucheron. Mais, si la guerre est tumulte, choc des armes, explosions, bombardements, feux incendiaires, sons des trompettes des armées, parfois (cinématographiquement) attaques de villages par hélicoptères au son de la danse des Walkyries de Wagner (cf : Coppola, Apocalypse now), il semble que la paix fasse silence, ne se laisse pas percevoir, existe discrètement ou négativement. Si un temps de paix, en un lieu, était durablement le cas, rien de visible, rien de touchable, rien de sonore, etc., ne l’exprimerait. Les choses et les êtres vivants seraient juste eux-mêmes : les forêts pousseraient, les vents souffleraient, au printemps les fleurs apparaîtraient, que les abeilles butineraient… ; par contre, qui ne le sait, toute la campagne, tous les villages et les villes souffrent quand la guerre est là. Les forêts brûlent au napalm, les gaz asphyxiants rendent l’air irrespirable, les cadavres polluent rivières et champs, les abeilles n’ont plus de fleurs à butiner, les ponts sautent, les chiens hurlent à la mort. Il faut créer des cimetières. La guerre est perçue, elle existe. Elle fait mal à tous les vivants, et à la Terre.

2. Cela ne veut pas dire que des pays ne sont pas en paix, non. Si je fais la différence entre ma génération, et celle de nos arrières grands-mères et grands-mères, nous avons pu vivre dans un territoire en paix presque 80 ans, alors qu’elles avaient connu successivement trois occupations par des armées venues de l’est : en 1870, en 1914, en 1939. C’était autre chose ! De très mauvais souvenirs les hantaient. Sous un certain rapport, tout se passe comme si, pour un pays donné, la succession temporelle était marquée par l’alternance de guerres et de paix, qu’on appelait « paix » simplement les périodes où il n’y a pas précisément une guerre. Sous ce rapport aussi, la notion même de paix, en un sens, n’est approchée que négativement : c’est une trêve, un répit, entre deux guerres.

3. Ce qui est donc difficile, c’est de « percevoir » la paix, car quand elle est présente, nous pouvons la méconnaître et oublier de l’apprécier et lui dire merci. Aussi nous en venons à « l’imaginer » durable et répandue sur tous les Etats  (il a existé des projets de paix perpétuelle au XVIII°s ; des organismes internationaux ont été créés pour veiller sur elle pour l’étendre au monde : SDN, ONU). Mais peut-être est-il impossible d’en avoir « le concept » et de la définir, de l’analyser ? Comment tout cela se fait-il ?

Ce qui nous bloque aussi dans notre réflexion, c’est que si nous nous concentrons sur la paix, nous soulèverons de l’indignation, ou plutôt nous serons accusés de bêtise profonde, de naïveté. Qui ne pense que « Polémos », Guerre, est le père de toutes choses, comme l’a dit Héraclite ? Que toutes nations y ont toujours recouru, pour attaquer les autres, conquérir leurs terres, ou se défendre d’envahisseurs, pour s’assurer un territoire pour vivre, depuis l’antiquité ? Qui ne nous dira : dans les cœurs humains couvent les passions guerrières, les hommes aiment et admirent les guerres et les guerriers.

Pourquoi la présence, pourquoi la fascination des guerres ?

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