Herméneutique du poétique
Dans un texte écrit en 1977 intitulé « Les poètes se taisent-ils ? », publié en français dans l’Actualité du beau (cité désormais AB, Alinéa, 1992), Gadamer interroge le statut de la poésie aujourd’hui, ce qu’elle représente, ce qu’elle incarne. On est tenté de relier cette interrogation à un sentiment que nous pouvons éprouver dans notre époque d’un certain recul de la poésie, y compris dans les études littéraires, au sentiment que la poésie est un peu délaissée. De quoi ce recul pourrait-il être le signe, alors que la poésie est « l’art de la parole », l’excellence du langage, le cœur de la littérature et de l’art ? La poésie a-t-elle acquis un caractère désuet ?
Cherchant à distinguer la poésie de la communication, Gadamer emprunte une image à Paul Valéry, l’image de la monnaie. Les mots de la communication sont comme des pièces de monnaie qui ont une valeur qui ne correspond pas à ce qu’elles sont, tandis que les mots du poète sont comme les pièces de monnaie d’or dont la valeur symbolique correspondait à la valeur en or de ces pièces. En d’autres termes, la parole poétique ne vaut pas en vue d’autre chose qu’elle-même et cette coïncidence produit un enrichissement de la parole, elle épaissit la parole non pas en la rendant plus lourde, plus pesante, plus encombrée mais par l’approfondissement des significations qu’elle occasionne. Les réseaux relationnels, les échos qu’elle installe entre les significations, les sonorités et les mots concourent à élargir la langue et cet élargissement lui permet de reposer en elle-même.