De la possibilité d’une logique universelle
La lecture des Carnets de 1914-1916 de Wittgenstein montre que la genèse du Tractatus Logico-Philosophicus (noté ultérieurement TLP) est à chercher avant tout dans une réflexion insistante et critique sur le fondement de la logique de Russell (les Principia écrits en collaboration avec Whitehead venaient de paraître) très inspirée par la lecture des écrits de Frege (dont Russell disait lui-même qu’il ne les avait pas compris). « Mon travail s’est en vérité développé à partir des fondements de la logique jusqu’à l’essence du monde ».
Cette remarque est datée du 2 août 1916. Or, dès l’ouverture de ses Carnets, plus de deux ans auparavant, il posait le thème constant de sa méditation : « La logique doit prendre soin d’elle-même » (2.08.1914). « La logique prend soin d’elle-même. Il nous faut seulement observer comment elle s’y prend » (13.10.1914).
Comme on le sait, cette idée est reprise dans le Tractatus2 Accompagné des mêmes justifications. D’abord l’idée toujours reprise que la logique ne peut se fonder sur un discours sans que celui-ci ne la présuppose, si bien qu’il ne saurait exister de théorie de la logique à proprement parler, pas plus syntaxique que sémantique. En conséquence, elle est elle-même au fondement. Mieux : elle est le fondement. « La logique est transcendantale ».
À la suite de Frege, Wittgenstein entend libérer cette idée de tout lien avec la psychologie fut-elle transcendantale : « Or, ceci veut dire qu’en logique, ce n’est pas nous qui exprimons au moyen de signes ce que nous voulons, mais qu’en logique c’est la nature des signes essentiellement nécessaire qui énonce d’elle-même ».
D’où un remarquable renversement de la conception du rapport de la logique à la pensée tel qu’on le conçoit habituellement : « Le tableau logique des faits constitue la pensée ». «Représenter par le langage quelque chose de contraire à la logique », on ne le saurait pas plus que représenter en géométrie par ses coordonnées une figure contraire aux lois de l’espace, ou qu’indiquer les cordonnées d’un point qui n’existe pas ».