Peut-on se passer de l’idée de création ?
Depuis les premiers philosophes grecs, qui étaient aussi « physiciens » – ils interrogeaient la nature –, jusqu’à Heidegger et au-delà, cette question n’a cessé de hanter la philosophie occidentale comme son ombre.
Notre ambition n’est pas de faire, ou de refaire, une histoire de l’idée de création. Rappelons seulement que cette idée, sous des formes diverses, a acquis toute sa vigueur à l’âge théologique et métaphysique : époque située schématiquement entre les Grecs, chez qui elle intervient comme une mise en forme et une mise en ordre d’éléments matériels préexistants (un démiurge, et non un dieu, préside à l’organisation du monde), et les phénoménologues aujourd’hui, habités par une nostalgie de l’origine, et pour qui la création est « remplacée » par une donation d’après réduction, qui est une auto-donation transcendantale par rapport au phénoménologique lui-même. Elle est donc prise historiquement entre un défaut et un excès d’existence – dans la parousie d’une Présence originaire. On ne saurait mieux marquer ainsi son origine et sa constitution onto-théologiques, d’où la plupart des difficultés métaphysiques seraient issues, et qui entacheraient une grande partie de la tradition philosophique occidentale. Mais nous souhaitons remonter vers l’amont de la notion, en la prenant à rebours, et en explicitant les présupposés implicites sur lesquels elle repose. À l’instar de la monade chez Leibniz, cette idée concentre et exprime l’univers de la théologie et de la métaphysique occidentales, tel un miroir ayant un temps propre, des états successifs, des actions internes.