Politique et violence selon Hannah Arendt
La pensée de Hannah Arendt s’attache à caractériser la spécificité de l’expérience politique. On peut en retenir les distinctions introduites dans cette perspective, entre l’action politique et l’acte violent, entre le pouvoir politique et la domination fondée sur la violence. Si on s’en tient là, la violence semble exclue du domaine politique, comme une expérience antipolitique, signant la fin de l’activité politique des hommes.
En même temps, l’expérience politique ne peut être analysée sans que soit précisé le lien indissoluble entre le politique et la violence. De fait, les deux domaines sont souvent confondus, parce que la politique et la violence sont toujours mêlées. Elles sont inéluctablement mêlées, en raison d’une part, du lien de la politique aux commencements, et d’autre part, du rapport de la politique à ses conditions. Premièrement donc, le domaine politique n’est constitué que des initiatives, des actions et des interactions humaines par lesquelles les hommes sortent de l’ordre naturel en instaurant un autre ordre, dit politique. Or, les commencements en politique ne vont jamais sans violence. Ce rapport des commencements et de la violence est manifeste dans l’expérience des révolutions, des fondations de corps politiques, qui sont pour Hannah Arendt, malgré ce qu’elle peut affirmer de la distinction entre le politique et la violence, les expériences politiques par excellence. Deuxièmement, le politique repose toujours sur des conditions prépolitiques, qui assurent l’existence d’un espace politique, mais aussi la distinction entre ceux qui ont accès à cet espace et ceux qui en sont exclus. Le politique s’appuie ainsi sur une violence exercée à l’égard de ceux qui sont exclus de la chose publique. La démocratie athénienne a pour condition la violence exercée sur les esclaves, qui libère des nécessités naturelles et offre le loisir de s’occuper des affaires politiques. Dans les deux cas, c’est le rapport de la politique à ce qu’elle rompt et à ce qui lui fait obstacle – la nécessité sociale et naturelle – qui la voue à la violence. On ne peut donc pas penser le politique sans penser la violence, dont la prise en compte est indispensable pour éclairer les conditions du politique.