La quatrième remarque de l’Esthétique transcendantale face aux objections

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Dans la théologie naturelle, explique Kant, on pense un objet dont
on est dépourvu d’intuition, auquel on doit attribuer un mode de
connaissance intuitif (la connaissance discursive supposant des bornes),
les conditions d’espace et de temps devant être soigneusement écartées
de ce mode de connaissance intuitif. Son intuition doit être représentée
comme une intuition intellectuelle, l’intuition de l’Etre originaire – qui
ne dépend pas quant à son existence et son intuition de l’objet – ne
peut être qu’une intuition donnant l’existence même à l’objet d’intuition.
Mais est-il permis de se représenter un tel être, de penser un tel mode
d’intuition, si l’on fait tout d’abord de l’espace et du temps des formes
objectives, des conditions a priori de toute existence? Comment ces
formes ne seraient-elles pas aussi des conditions s’appliquant à Dieu?
Il Y a inconséquence à vouloir penser Dieu dans le cadre du réalisme
transcendantal. Il ne reste plus, dans ces conditions, qu’à rapporter
espace et temps à la forme subjective de notre intuition, laquelle, à
l’opposé du mode d’intuition qui convient (autant que nous puissions
juger) à l’Etre originaire, est l’intuition d’un être essentiellement dépendant
: la représentation de l’objet n’est possible, pour nous, que pour
autant que notre capacité de représentation se trouve affectée. Notre
sensibilité, c’est précisément le caractère dérivé de notre mode d’intuition.
Espace et temps signifient notre absence d’intuition intellectuelle.
Peut-être ces formes d’intuition sont-elles celles de tout être fini
pensant (nous ne pouvons décider jusqu’à quel point elles sont le propre
de l’homme), mais cela n’ôte rien au fait qu’elles ont trait à la sensibilité.
Quand elles seraient universelles, elles ne laisseraient pas d’être des
conditions sensibles d’intuition, c’est-à-dire des conditions propres à
un être qui ne peut intuitionner que pour autant que sa capacité de
représentation se trouve affectée.

[[Article publié dans Les études philosophiques, n°2/1990]]

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