Spinoza et le « pacte social » du Traité théologico-politique
On entend revenir dans les pages qui suivent sur le problème du pacte social dans le Traité Théologico-politique de Spinoza (dorénavant TTP), en se proposant de le reconsidérer sous un nouveau point de vue. La position «contractualiste » de Spinoza dans le TTP n’était pas, on le sait, sans soulever des difficultés dont on n’entrevoyait pas la solution dans le cadre théorique défini par le livre, principalement parce que la théorie du pacte social fondée sur l’existence d’une obligation à respecter celui-ci s’accordait mal avec le concept spinoziste de droit naturel. Alexandre Matheron a montré, de manière particulièrement convaincante, que la seule solution à cette difficulté théorique a consisté, pour Spinoza, à abandonner toute référence au pacte social dans le Traité Politique (dorénavant TP), tout en rendant compte de la genèse de l’État par la mobilisation d’un mécanisme d’imitation des affects exposé dans la partie III de l’Ethique (prop. 27, III et suivantes). Il était possible de valider a contrario cette reconstruction, en montrant que Spinoza ne disposait pas de ce concept au moment de la rédaction du TTP, raison pour laquelle le recours à la théorie du pacte pouvait apparaître comme une ressource possible (déjà utilisée par le contractualisme naissant) pour rendre compte de la genèse de l’État. On peut considérer, au vu des arguments avancés, que cette explication demeure pleinement valide. Elle repose cependant sur l’idée selon laquelle Spinoza, dans le TTP, aurait mobilisé la formule juridique déjà classique du pacte social, introduisant ainsi une tension insurmontable entre celle-ci et sa théorie du droit naturel. On peut pourtant se demander si Spinoza a importé cet instrument juridique inchangé au sein de sa théorie du droit naturel sans lui imposer la transformation requise par celle-ci et s’il n’a pas, en conséquence, modifié certaines propriétés du pacte dans le sens exigé par la logique de sa conception du droit. Si l’on répond positivement à cette question, on peut considérer qu’une certaine critique de la théorie du pacte social existe déjà dans le TTP et que la disparition de celui-ci dans le TP correspond plutôt à l’élimination d’un « résidu » gênant pour la clarté de la théorie qu’à la résolution d’une contradiction interne de la doctrine. Dans ces conditions, la position défendue par Spinoza dans le TP constituerait moins tant une transformation de sa théorie de la genèse de l’État que la conséquence de la construction des prémisses anthropologiques encore manquantes dans le TTP pour en rendre compte. La continuité entre les deux livres se révélerait, in fine, plus forte que celle qui lui était attribuée. Telle est l’hypothèse de lecture que l’on cherche à étayer dans les pages qui suivent.