La pensée intellectuelle est régressive par prédilection. Elle cherche toujours en arrière d’elle-même les conditions de son présent selon ce que Bergson appelle « le mouvement rétrograde du vrai ». L’intelligence est donc involutive. Elle se retourne derrière elle pour se justifier tout en pensant dans le présent les justifications qu’elle projette dans le passé. Mais ce mouvement jusqu’où peut-il se déployer ? Jusqu’à l’origine radicale ? jusqu’au commencement absolu ? A l’énigme de l’acte inaugural, de l’arché ou de l’incipit ?

La philosophie a, de tout temps, été obsédée par la recherche du commencement chronologique de son déploiement et du fondement logique de sa vérité. L’acte philosophique est, à sa manière, une origine, une renaissance, une itération : mais ce n’est plus l’être qui commence, c’est le sujet. C’est alors un commencement réflexif, un commencement qui apparaît en bout de course, à l’issue d’un itinéraire comme dans le célèbre passage de la préface aux Principes de la philosophie du droit, de Hegel, où la chouette de Minerve ne prend son vol qu’au crépuscule. « La philosophie vient toujours trop tard. En tant que pensée du monde, elle apparaît seulement lorsque la réalité a accompli et terminé son processus de formation… Lorsque la philosophie peint sa grisaille dans la grisaille, une manifestation de la vie achève de vieillir. On ne peut pas la rajeunir avec du gris sur du gris, mais seulement la connaître. Ce n’est qu’au début du crépuscule que la chouette de minerve prend son vol ». La recherche d’un commencement, pour nous pauvres humains, est, hélas, toujours trop tardive. Tout a déjà, toujours-déjà, commencé.

https://www.cairn.info/revue-pardes-2001-2-page-59.htm