La logique et la vérité
Nous signalons et mettons à disposition ici avec l’accord de l’auteur, un article publié dans la revue L’Ouvert (n°109, 2004), disponible sur le site de L’IREM de strasbourg :
Cliquez ici pour vous rendre sur le site de l’IREM
D’après la définition traditionnelle, la vérité est « la conformité de la pensée avec l’objet » (Descartes à Mersenne, lettre du 16 octobre 1639) ; elle « consiste dans l’accord de la connaissance avec l’objet » (Kant, Logique, Introduction, VII). Cette définition viendrait d’Aristote, Métaphysique Δ, 29 et Θ, 10, et dans la terminologie scolastique on parle
d’« adaequatio ». Dans une terminologie plus commune on parle d’exactitude : un jugement, une représentation sont vrais s’ils sont exacts. Par exemple, « il pleut » est vrai s’il est exact qu’il pleut, c’est-à-dire si l’on peut vérifier et constater qu’il en est bien ainsi.
Si l’on s’en tient à cette définition traditionnelle, la logique devrait éliminer toute considération de la vérité. La logique concerne en effet « l’entendement abstraction faite de la diversité des objets auxquels il peut être appliqué » (Kant, Critique de la raison pure, 2ème partie, Introduction). C’est ce qui fait dire que la logique est formelle. En effet, il n’y est pas question de jugements ou de raisonnements qu’il faudrait vérifier pour en établir l’exactitude en s’assurant qu’ils sont bien conformes à des faits que l’on peut constater. La logique ne s’intéresserait pas au contenu des propositions ; elle ne s’intéresserait donc pas à la question de savoir si ce qu’elles disent est vrai. Aristote semble bien avoir procédé de cette façon lorsqu’il a présenté dans les Premiers Analytiques « l’art syllogistique » de lier déductivement des propositions et de tirer des conclusions. Il le présente en effet comme un art mis en oeuvre dans tout discours quelle que soit la nature des choses sur lesquelles on raisonne. A ce titre, l’Analytique n’est la « science d’aucun objet déterminé, c’est pourquoi elle se rapporte à toute chose ». Elle fait abstraction, dans le discours, de ce que l’on dit pour ne retenir que les formes et les modes des énonciations en tant que telles. Lorsque, par exemple, nous parlons de Socrate pour dire qu’il est mortel, le logicien s’empresse d’éliminer le contenu de la proposition en substituant des lettres aux mots pour ne retenir que la forme attributive S est P, de sorte que pour lui, la question n’est pas de savoir s’il est vrai ou non que Socrate est mortel mais de savoir comment une proposition de cette forme peut être correctement déduite d’une autre proposition, c’est-à-dire « par un raisonnement qui conclut par la forme de la forme », comme disait Leibniz (Nouveaux Essais, IV, 17).