Ambigus psychotropes

Il est crucial de s’interroger sur l’usage qui est fait du médicament par une psychiatrie DSMisée qui vise les symptômes et pas les dénouements subjectifs. Une psychiatrie uniquement médicale, qui, d’un côté, se fait le chantre d’un scientisme largement orienté par le « pousse à la rentabilité » des firmes pharmaceutiques, et, d’un autre côté, se fait l’instrument d’une pente démocratique faisant du bonheur un droit pour chacun. Le bonheur qui n’est autre qu’un état de non-manque comme nous le disent les toxicomanes : celui qui se veut sans cesse heureux évite toute expérience de manque, de souci, de résolution des problèmes posés par la vie… qui vit. Tel cet homme obsessionnel qui s’est retiré du commerce de ses semblables, sortant a minima et rêvant à un monde post-atomique gelé dont il serait le seul survivant : là, les aléas de l’existence parmi les hommes, les surprises des rencontres, les paris désirants ne seraient plus de mise ; il appelle dans ses rêveries diurnes un monde dont il n’aurait plus besoin de se prémunir : enfin un monde sans vie !

De là la question : le bonheur – état homéostatique donnant un non-déplaisir en continu – participe-t-il des biens enviables du sujet ? Aujourd’hui, ce bonheur semble devenir un bien partageable, de masse, comme le font penser certaines précautions prônées par l’OMS, qui glissent tendanciellement vers l’établissement des normes de la « bonne subjectivité ». Du côté moral, il est prôné comme un devoir depuis les années 1980. Années fatidiques qui virent la financiarisation extrême de l’économie avec en parallèle la mise en place d’une idéologie de la concurrence individuelle rabaissant le lien de l’un à l’autre sur une rivalité imaginaire toute paranoïaque : ainsi va le lien social dans lequel nous vivons.

[Pascale Macary-Garipuy et Patricia Rossi-Neves]

https://www.cairn.info/revue-figures-de-la-psy-2014-2-page-99.htm