Bonheur et temporalité
Un temps illimité, dit Epicure, et un temps limité contiennent un égal plaisir. Cette égalisation semble paradoxale. Elle perd de son étrangeté pour qui prend en vue la pensée grecque du plaisir. Aristote montre que le plaisir n’est pas dans la durée. « Du plaisir, dans n’importe quel temps, la forme est parfaite » ; « ce qui est dans le maintenant est un certain tout ». Ce n’est pas une singularité d’Epicure, mais un trait fondamental de la pensée du plaisir, que de le dissocier d’une durée qui pourrait l’accroître sans fin. Saint Thomas, après Aristote, niera lui aussi que le plaisir soit dans le temps, sinon par accident, c’est-à-dire quand le bien que nous possédons en lui se dérobe. Au sens strict, le plaisir n’est pas éphémère. Il échappe à l’alternative de ce qui se maintient dans la durée et de ce qui se dissipe dans la durée. Il disparaît plus qu’il ne passe. Si le temps ne peut apporter au plaisir de surplus, c’est que le plaisir, dans son être même, est surplus — un surplus qui échappe toujours déjà à un calcul hédoniste. Il est ce qui vient s’ajouter à l’acte de façon telle qu’il ne supporte pas lui-même d’ajouté. Le plaisir s’absout du temps.