Temps et esprit chez Hegel et Louis Lavelle (essai de chronodicée)
Scuola di San Giorgio degli Schiavoni de Venise abrite en son sein une belle toile de Carpaccio, La vision de Saint Augustin, représentant le philosophe à sa table de travail. Comme souvent dans ce type d’iconographie, on peut remarquer un sablier situé discrètement dans un coin du tableau, qui marque la brièveté de l’existence et peut faire songer, dans ce cas précis, à la question augustinienne célèbre, « Quid est enim tempus ? » Ce détail volontairement anachronique (le sablier n’apparaît que vers le XIVe siècle) renvoie implicitement à une représentation courante du temps, qui est celle d’un flux ou d’un écoulement incessants. En témoignent également les innombrables « vanités », composées à partir du XVIIe siècle, dans lesquelles le peintre choisit de symboliser le temps par un sablier, censé en manifester les traits principaux : la fuite continuelle des instants entraînés comme les grains de sable, de manière insensible et inéluctable, la répétition sans fin de ce même mouvement caractérisée par la réversibilité du sablier qui se retourne à loisir. Figuré à côté d’un crâne ou d’une nature morte, le sablier contribue ainsi, conformément à l’esprit de ce genre pictural, à rappeler la vanité de toutes choses humaines — richesses, pouvoir, plaisirs, savoir — dont la forme essentiellement transitoire est l’effet d’un seul et même phénomène : le passage du temps.
https://www.cairn.info/revue-des-sciences-philosophiques-et-theologiques-2001-1-page-81.htm