La notion d’interprétation à l’épreuve de la pratique instrumentale
Rares sont les notions aussi protéiformes ou équivoques que celle d’interprétation. Cette notion concerne aussi bien les fausses sciences (astrologie, divination, numérologie, etc.) que les savoirs relevant de ce que Carlo Ginzburg appelle le « paradigme indiciaire » (psychanalyse, enquêtes policières, authentifications en matière d’œuvres d’art, etc.). Elle concerne les sciences philologiques, juridiques, historiques ou sociales, l’exégèse religieuse, et, bien sûr, le vaste champ, lui-même très diversifié et même conflictuel, de l’herméneutique. Elle est centrale pour l’ensemble des arts de performance (le théâtre, la rhétorique entendue comme l’art des discours proférés en public, la danse, la musique, le mime, les arts de jonglerie, etc.). Elle est enfin, elle est d’abord, une catégorie de la théorisation spontanée de l’expérience quotidienne : on interprète une mimique, un silence, une attitude, une phrase, et on interprète l’interprétation que l’autre fait (ou que l’on suppose que l’autre fait) de nos propres mimiques, silences, attitudes et phrases. Cette interprétation spontanée et sauvage précède toute interprétation réfléchie et savante, et plus encore toute théorie de l’interprétation. L’homme est un animal qui interprète, qui ne peut pas s’empêcher d’interpréter, comme Nietzsche l’a bien vu.