Bergson, « Le possible et le réel ». Commentaire

,

L’idée de possible est consubstantielle à la métaphysique « classique » et à la négation de l’imprévisible nouveauté. La critique de l’idée de possible est donc décisive pour la métaphysique de la durée et/ou de la création. Il en sera encore question dans la première introduction et plusieurs fois dans l’ensemble de La pensée et le mouvant. Dans cet essai il aborde cette critique pour elle-même et, plus précisément, a pour objet de montrer que l’idée de possible est une idée négative au même titre que celles de néant et de désordre, véhiculant la même illusion à prendre le plus pour le moins.

Création et nouveauté (135-141)

Bergson commence précisément cet article, d’abord paru dans une revue suédoise, par réaffirmer sa conviction que l’univers est un processus de « création d’imprévisible nouveauté » (135). Et cette conviction s’appuie sur l’expérience la plus ordinaire « à chaque instant ». Il reprend une idée acquise depuis l’Essai sur les données immédiates de la conscience : l’action ou l’événement est toujours plus riche et imprévisible par rapport à la représentation, nécessairement abstraite et schématique, de l’action ou de l’événement. Ainsi de l’exemple d’une réunion. J’ai beau savoir quand elle aura lieu, quelles personnes y participeront, quelle sera la disposition, quel sera le sujet de discussion, il suffit que ces personnes prennent place, échangent pour donner une « impression unique et neuve, comme s’il était maintenant dessiné d’un seul trait original par une main d’artiste » (135). Qu’on ne se méprenne pas : ce n’est pas simplement une « impression » subjective, mais bien une réalité objective. La réunion ne réalise pas l’image possible que je m’en faisait, par juxtaposition d’éléments, mais fait advenir du « neuf », càd du radicalement nouveau, de l’absolument imprévisible. Il en va d’une telle réunion comme de l’œuvre d’un artiste, qui n’a pas besoin d’avoir la qualité artistique d’un chef d’œuvre (Rembrandt) : le résultat y est également « inattendu » et « original » (136).

Si l’on objecte que cette « impression » est l’effet d’une connaissance partielle sur le détail des circonstances, il faut répondre que cette même impression de nouveauté est éprouvée « devant le déroulement de ma vie intérieure » (136) — et plus loin « état d’âme ». Sans doute mon action a été voulue, et même a fait l’objet d’une délibération. Mais outre le fait que la délibération donne une vision déformée, spatialisante et soumise à l’idée de possible (voir Essai sur les données immédiates de la conscience, p. 168-169), elle n’empêche pas que l’action elle-même possédera une forme originale qui n’appartient qu’à elle.

Documents joints