La paix sans la guerre ?
Il est difficile d’apprécier qui de la guerre ou de la paix aura été l’objet privilégié de la philosophie. On répondra que ce fut la guerre parce que l’histoire humaine est l’histoire des guerres entre les hommes. Le monde a-t-il jamais connu l’absence de toute guerre ? Pourtant si la guerre est, pour ainsi dire, le phénomène même du monde, c’est bien la paix qui en est l’essence ou l’idéal. Aussi la philosophie n’a-t-elle pensé la guerre que par nécessité alors qu’elle a toujours posé la paix comme l’objet d’une obligation universelle. Mais qu’est-ce que la paix en soi ? La guerre est relative à la paix : l’une est le moyen de l’autre. Mais l’inverse est-il également vrai ?
Les hommes chérissent la paix. La justice l’exige, le bonheur en dépend. Que la paix règne dans le monde entier. Mais les hommes la remettent le plus souvent au pouvoir de Dieu, preuve qu’elle excéderait les seules capacités humaines. La prière pour le défunt espère la paix éternelle de son âme : requiescat in pace. Mais la paix mérite-t-elle d’être seulement espérée dans l’éternité de l’autre monde, d’autant que les religions qui prônent la paix se sont trop souvent compromises dans des guerres ? Sans attendre le salut et la miséricorde de Dieu, la paix n’est-elle pas exigible ici et maintenant ? Cependant si vivre en paix, comme tous les hommes y aspirent, c’est encore et toujours vivre à l’ombre et sous la menace de la guerre, la paix dans l’histoire est loin de réaliser son concept. Tant que la paix ne sera pas la suppression des causes de la guerre et des conditions qui la rendent possible, la paix sera compromise. Ou bien la paix est éternelle et n’est pas de ce monde. Ou bien la paix est temporelle et doit être perpétuelle. Mais la paix perpétuelle suppose de surmonter la relativité de la paix et de la guerre. La paix se situerait par-delà l’opposition de la guerre et de la paix. Elle doit être autre chose que l’état de paix qui, en réalité, n’est qu’un « état de guerre ». Qu’est-ce donc que la paix sans la guerre : rien ou la vraie paix ? Qu’est-ce que la paix relative à la guerre : rien ou une fausse paix ?
La théorie de la paix en tant que paix n’est sans doute pas fixée ou n’est précisément que théorie. C’est pourquoi ici la paix est encore abordée du point de vue de la guerre, d’abord succinctement dans les limites de la philosophie politique antique, ensuite autour de la doctrine de la « juste guerre » et de l’action de police internationale qui, aujourd’hui, paraît s’y substituer.