Marx et la reconnaissance : des Manuscrits de 1844 au Capital
Dans la mesure où le paradigme de la reconnaissance a été conçu par Honneth comme un moyen de renouveler la théorie critique tout en renouant avec ses sources hégélo-marxiennes, il n’est pas étonnant que différents auteurs aient cherché ces dernières années à reconstruire une théorie marxienne de la reconnaissance (Quante, Brudney et Chitty) et qu’ils aient cherché chez Marx une autre manière d’actualiser la théorie hégélienne de la reconnaissance que celle proposée par Honneth. Ces auteurs ont contribué à faire prendre conscience du fait que la théorie marxienne, qui ne fait certes pas du concept de reconnaissance l’un de ces concepts centraux, croise cependant la question de la reconnaissance de différentes manières, et est plus riche à cet égard que l’on aurait pu croire. Cependant, la démarche de ces auteurs semble problématique, et cela pour deux raisons principales : premièrement, Marx aborde la question de la reconnaissance dans le cadre de trois problématiques, hétérogènes les unes aux autres, qui sont difficilement unifiables en une théorie, fut-ce par reconstruction ; deuxièmement, certaines de ces problématiques sont incompatibles aussi bien avec le sens et la fonction théorique que Hegel donnait au concept de reconnaissance qu’avec les présupposés partagés dans la plupart des débats contemporains sur le reconnaissance. Cela ne signifie pas que pour les discussions contemporaines sur la reconnaissance, un détour par Marx soit dénué d’intérêt. Au contraire, le fait que l’approche marxienne de la reconnaissance soit parfois en décalage avec le cadre hégélien et avec les présuppositions des débats contemporains peut permettre d’identifier certains points aveugles et inviter à déplacer la discussion vers de nouveaux objets.
Les Manuscrits de 1844 et les « Notes sur James Mill » relèvent d’une première problématique. La question de la reconnaissance y est abordée dans un cadre théorique feuerbachien et hessien plutôt qu’hégélien, qui est totalement hétérogène aux débats contemporains. Ce n’est pas le cas d’une deuxième problématique, celle du pouvoir pratique de l’expérience de l’humiliation, récurrente de 1843 jusqu’à la maturité, qui semble plus directement inspirée de problématiques hégéliennes et qui rencontre certains des thèmes fondamentaux des discussions contemporaines. Une troisième problématique relève des remarques relatives aux rôles sociaux comme masques et personnifications de rapports économiques dans Le Capital.