L’animalité de l’homme selon Platon
Dans un texte célèbre du Politique, l’Etranger reprend le jeune Socrate sur sa façon maladroite de procéder à une dichotomie à propos de l’élevage des troupeaux
et lui dit ceci :
« — […] Il y a, disais-tu, deux sortes d’animaux, la première, l’humaine, la seconde, d’autre part, <qui englobe> en son unité la totalité des bêtes.
— Le jeune Socrate : C’est la vérité ! — L’Etranger : Dès lors il fut, à cet instant, visible pour moi, que, en mettant de côté une partie, tu te figurais avoir, laissé, pour constituer le reste, un genre unique (genos hen), qui comprendrait, lui, la totalité de ce qui restait ; et cela, parce que tu étais à même, en appelant cela “des bêtes”, d’appliquer le même nom à la dénomination de tous ces êtres. — Encore là, c’est bien ce qui se passait ! — Or, ô vaillant sans égal, peut-être bien, à ton exemple, tel autre animal supposé, je pense, intelligent, ainsi la grue à qui l’on fait cette réputation 1 , ou encore quelque espèce analogue, opposerait-il à tout le reste des animaux, ce qu’un même nom lui sert pareillement à désigner, savoir l’unité du genre “grue” ; puis, en se prenant soi- même pour objet de vénération 2 , ne ésignerait-il pas par aucun autre nom sinon celui de “bêtes” 1 Les Anciens admiraient la rationalité des migrations des grues et donc leur « sagesse », voir Elien, La personnalité des animaux, livre III, 13 ; Aristote range cet oiseau parmi les animaux « politiques », aux côtés de l’homme, l’abeille et la fourmi (voyez Histoire des animaux, I, 1, 488a7-8).
Ce texte nous invite à la plus grande prudence quand il s’agit de parler des animaux comme d’un groupe homogène dont nous serions clairement séparés, nous les hommes ; même Descartes qui semble pourtant l’un des plus chauds partisans de la dichotomie homme/animal fait preuve de retenue dans la lettre à Morus du 5 février 1649 où il écrit : « Quoique je regarde comme une chose démontrée qu’on ne saurait prouver qu’il y ait des pensées dans les bêtes, je ne crois pas qu’on uisse démontrer que le contraire ne soit pas, parce que l’esprit humain ne peut pénétrer dans leur cœur pour savoir ce qui s’y passe » 4 . On ne peut pas prouver ue l’animal pense, mais on ne peut prouver davantage qu’il ne pense pas.