L’espace est représenté comme une grandeur infinie donnée : la radicalité de l’Esthétique
Le quatrième argument de l’exposition métaphysique de l’espace, dans le seconde édition de la Critique de la raison pure, est ainsi formulé : L’espace est représenté comme une grandeur infinie donnée [souligné par Kant]. Or on doit bien penser tout concept comme une représentation qui est contenue dans une multitude infinie de représentations possibles diverses (comme leur caractère commun), qui par suite les contient sous elle ; mais aucun concept comme tel ne peut être pensé comme s’il contenait dans lui une multitude infinie de représentations. Cependant l’espace est pensé ainsi (car toutes les parties de l’espace à l’infini sont ensemble). La représentation originaire de l’espace est donc intuition a priori, et non concept (B 39-40). L’énoncé initial de l’argument (désigné par la suite comme M4) ne constitue pas la thèse à démontrer ; il rend bien plutôt manifeste une évidence intrinsèque, propre à la représentation de l’espace, dont l’explicitation apportera la preuve de la conclusion à établir : que l’espace est intuition a priori. Malgré cela, ou à cause de cela, il a suscité des commentaires nombreux, souvent inspirés par la suspicion d’une difficulté, voire d’une obscurité, ou d’une contradiction avec d’autres énoncés de la Critique. Or, s’agissant d’un texte soigneusement réécrit à l’usage de la seconde édition, il faut bien que Kant ait eu une intention précise en le rédigeant, ne serait-ce que celle de se démarquer de la formulation correspondante de la première édition qu’il visait à remplacer. Ressaisir cette intention devrait au moins dissiper la contradiction prétendue, ce qui suppose qu’on s’en tienne d’abord au texte de l’ Esthétique transcendantale, sans en contaminer la lecture et la compréhension par la superposition d’énoncés tirés d’autres passages de la Critique : ce qui revient à repérer le sens de l’un et des autres en fonction de leur localisation dans les dispositions architectoniques de l’œuvre. En l’occurrence, cette règle équivaut à prendre en charge la radicalité de l’Esthétique en tant que telle, en mesurant la nouveauté et la singularité de ce que Kant a voulu entreprendre sous ce titre. A cette fin, l’interprétation de M4 ne peut être dissociée de la considération du sens systématique des réaménagements rédactionnels de la seconde édition, dont Kant dit qu’il y a voulu, entre autres choses, remédier au malentendu de l’Esthétique transcendantale (s’il ajoute qu’il s’agit notamment d’une incompréhension relative au temps, il ne s’agit pas pour autant de la seule).