Le terme de « mystique » comporte les définitions le plus inadéquates, inconvenantes pourrait-on dire : Robert insiste sur le caractère de « croyance cachée », pour ensuite assimiler la mystique à un ensemble de pratiques, et la parenthèse renvoie, par analogie, à « bigotisme ». Littré cite Victor Cousin, — « cette prétention de connaître Dieu sans intermédiaire » —, mais aussi Bossuet, que Robert cite également. C’est que Bossuet entend mettre en garde contre « ces dangereuses manières de prier [les états d’oraison].… qui se répandent insensiblement » (Ordonnance sur les états d’oraison). L’Académie, qui reçoit des théologiens, non des mystiques, parle d’un « système d’affinités se rapportant à un objet qu’on met au-dessus de toute discussion où auquel on attribue une sorte de vertu magique ». Ce qu’éclaire l’honnête Lalande en définissant l’adjectif mystique: « s’applique à la représentation de l’univers sous la forme de correspondances et d’actions “sympathiques” dues à ces correspondances, en tant qu’elle s’oppose à la représentation de l’univers sous la forme de phénomènes individuels, causes et effets les uns des autres suivant des lois déterminées ». La citation qui suit — de Lévy-Bruhl — renvoie aux pratiques des « primitifs » tels qu’on les imaginait de Paris en 1910. Il est vrai que « mysticisme » est mieux traité, puisque ce terme désigne une « croyance à la possibilité d’une union intime et directe de l’esprit humain au principe fondamental de l’être, union constituant à la fois un mode d’existence et un mode de connaissance étrangers et supérieurs à l’existence et à la connaissance normales ». La mystique, nom et adjectif, serait donc croyance, mais obscure, pratique, mais primitive, connaissance occulte, a-normale. Le Dictionnaire de théologie catholique pour montrer qu’il faut partir d’une « notion préconçue », compare la méthode à suivre avec celle qui convient à l’hystérie, parle de « procédés non rationnels […] qui supposent quelque “expérience” de Dieu », laisse de côté « la vie mystique ordinaire », mais aussi le « mysticisme spéculatif » qualifié de théosophie (Eckhart, Boehme), dont le tort serait de procéder « d’intuitions de vérité sur les choses, mais non de l’expérience, de l’intuition de la réalité ». Comment s’y reconnaître, s’il s’agit tout à la fois de la Réalité, d’allégories, d’actions magiques, de procédés non rationnels pratiqués pourtant par d’authentiques esprits conceptuels, saint Jean de la Croix, par exemple ?

C’est ici que le problème des définitions intéresse le philosophe, mais dangereusement. La question du statut d’un savoir ou d’une croyance est philosophique. De même sont philosophiques les objets mystiques : Dieu, l’Absolu, l’infini, le Tout, le Bien, le Néant, l’Etre, la Source ou l’Au-delà du Savoir. De même encore les attitudes ou les modalités : recueillement, intuition ; et le vocabulaire : âme, intériorité, liberté, abandon, déréliction, ascèse. Mais il y a un double risque : de ne pas respecter la spécificité de la Mystique : de la placer, avec allusions ou « explications » à l’endroit où elle doit prouver quelque chose, (l’animisme des primitifs de Lévy-Brubhl ; les modifications qualitatives de l’élan vital chez Bergson) ; ou, à l’inverse, le risque d’entrer dans le domaine de l’inconnu, et d’y rester, de s’y perdre.

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