Une lecture des figures féminines des Minima Moralia à partir du concept de « forme de vie »
Quelle lecture interprétative pourrait-elle rendre justice à un texte d’une richesse et d’une densité telles que celles des Minima Moralia ? Si toute interprétation risque d’être préjudiciable à un ouvrage dont l’intérêt propre est l’expression de pensées aigües sur l’individuation, une voie de lecture particulière – celle mettant en œuvre le concept de forme de vie [Lebensform] – offre un avantage contre le risque d’une lecture réductionniste. À la suite des travaux d’Axel Honneth et de Rahel Jaeggi, représentants actuels de l’École de Francfort, les Minima Moralia peuvent en effet être compris comme une puissante critique de la forme de vie capitaliste [kapitalistische Lebensform]. Plus récemment, les travaux d’Estelle Ferrarese ont mis au jour les racines, au sein de la tradition critique allemande, du concept adornien de forme de vie. La notion désigne généralement un « ensemble de pratiques et d’orientations du corps social » dont les effets se lisent dans les détails les plus infimes de la vie quotidienne. La forme de vie dessine une sédimentation historiquement bien plus déterminante que des formations transitoires comme les institutions, les modes ou encore les styles de vie. La critique d’Adorno dans les Minima Moralia dévoilerait plus spécifiquement le rapport de la forme de vie capitaliste à la pétrification de la vie, ou encore à l’universalisation de la réification qui voue l’ensemble des êtres, y compris les rapports sociaux, à la considération strictement instrumentale.