Subjectivité et maladie

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La philosophie de Canguilhem peut se comprendre, à partir du livre Le normal et le pathologique, comme une critique radicale du concept de normalité. Si ce livre semble, au départ, la conjonction de deux études chronologiquement séparées, l’Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique de 1943, les « Nouvelles réflexions concernant le normal et le pathologique » de 1963-1966, toutes deux sont liées par l’examen des rapports du normal et du pathologique. Cet examen se veut avant tout critique en tant qu’il porte sur l’évaluation du normal à la lumière du pathologique. L’exclusion du pathologique hors du normal est-elle normale ? La possibilité de tenir le pathologique pour une forme du normal ne suppose-t-elle pas une réforme radicale du concept de normalité ? Dans l’Essai, la division en deux études, une étude historique de l’identification du normal et du pathologique, une étude critique des concepts de normal et de pathologique et de ceux qui s’y rapportent (anomalie, anormalité, santé) recouvre une division en deux pratiques discursives distinctes : une généalogie de la normalité qui repère la manière dont le fait pathologique, au XIXe siècle, est dissout dans le fait normal assimilé à la santé, conduisant à la formulation d’une normalité en soi qui devient la forme dominante de tout vivant dont le vivant humain ; une critique de la normalité par la caractérisation du vivant selon sa possibilité constitutive de changer de normes et d’en créer de nouvelles que Canguilhem désigne sous le terme de « normativité », caractérisation qui suppose de redonner l’initiative au vivant dans le rapport aux normes et par là même de considérer le travail d’individuation ou de subjectivation qui s’établit pour le vivant animal et le vivant humain, dans son rapport aux normes. Dans les « Nouvelles réflexions », écrite vingt ans après, l’argumentaire généalogique et critique est transposé du vital au social, prévenant contre un sens absolu du normal social.

Une étude attentive de l’Essai permet de comprendre pourquoi la méfiance théorique à l’égard du concept de normal, sous-tendue par une réflexion sur le sens du normal et du pathologique pour l’homme, entrelace le thème de la subjectivité et celui de la maladie. Deux pistes sont ouvertes par Canguilhem. Une première piste, analysée dans la première partie de l’Essai, « L’état pathologique n’est-il qu’une modification quantitative de l’état normal ? », entend montrer comment un dogme scientifique qui identifie le pathologique au normal finit par dissoudre le sens de l’expérience subjective. Une seconde piste, analysée dans la seconde partie de l’Essai, « Y a-t-il des sciences du normal et du pathologique ? », laisse émerger le sens de l’expérience subjective par une reconsidération de la valeur du pathologique.