Cicéron, Les Académiques : l’assentiment
Cicéron dit à Lucullus :
«Mais vous affirmez que personne ne sait rien, à l’exception du sage. Et Zénon le résumait par un geste : les doigts étendus, montrant l’intérieur de sa main, il disait : “Voici la représentation”. Puis, pliant un peu ses doigts : “voici l’assentiment”. Quand il avait replié complètement ses doigts et fermé son poing, il disait que c’était la compréhension (de cette comparaison il tira même le mot nouveau de katalepsis qu’il donna au processus.) Enfin, mettant la main gauche sur la droite, il tenait son poing fortement et étroitement serré : “Telle est la science”, disait-il, “et personne, à l’exception du sage, ne la possède” (Les académiques, LA, livre II, 145.)
L’image est belle, même si le contexte frémit, bouillonne de la colère que Cicéron ressent envers les stoïciens ; comme si ceux-ci méprisaient, injuriaient tous ceux qui n’étaient pas cet homme qu’il estime, lui, impossible : « le sage ». Le ressentiment de Cicéron envers les stoïciens est passé dans la postérité, qui partage son hostilité. Il peut louer Socrate de reconnaître son ignorance ; mais il ne supporte pas la pensée que lui-même serait ignorant…par rapport au sage ! Mais que nous importe ici. Cicéron nous livre une image clef de la théorie de la connaissance : celle de Zénon.
main ouverte, doigts étendus : « visum huius modi est »
doigts contractés : « adsensus huius modi »
main fermée sur soi : « comprehensionem illam esse » : katalépsis.
l’autre main serrant la main : « scientiam talem esse ».
Le tout constitue une image dynamique de la constitution de la science en nous. La première phase est ouverture, réception. Nous recevons des impressions sensibles, des cinq sens, et comme celles-ci sont plus précisément des images perçues, leur nom n’est pas « aistheseis », mais « phantasiai » : imaginations, représentations (ce sont : le blanc vu, l’odeur flairée, la mélodie entendue, le froid ressenti, etc…). Cicéron dit : visum. La seconde phase est un geste de contraction que nous faisons : un petit geste volontaire, que les grecs appellent « sunkatathesis », Cicéron « adsensus » : c’est un « dire oui » : je perçois cette chose ; penser « elle est là, elle existe ; elle est telle » : c’est l’assentiment. La troisième s’appelle « katalepsis » ou compréhension : c’est la survenue de la notion, de sa signification : elle suit l’assentiment : blanche est la neige, parfumée la rose, mélodieuse la musique, froid le marbre, etc… Enfin quand l’esprit tient fermement sa compréhension survient « épistémé », la science, ou « scientia ».