La dialectique. Cicéron, Les Académiques, II, 91-95

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Ici, la dialectique est convoquée, critiquée, déconsidérée par le recours au sorite et au paradoxe du menteur. Nous voyons bien qu’il s’agit d’une attaque qui vise le stoïcisme, puisque Chrysippe est mis sur le banc des accusés. Et donc il apparaît nettement que ce passage est une attaque sceptique (ou académique) contre la logique des stoïciens : leur dialectique, leurs paradoxes.

Dans ce contexte-ci, comment faut-il comprendre le mot « dialectique » ? Au départ, quand le mot apparaît, dia-lektiké associe à l’idée de dire ou énoncer quelque chose (cf. logos, légein) « dia », comportant l’idée de division : autrement dit d’un parcours pas à pas, d’idée en idée comme dans les définitions platoniciennes par dichotomie (où la division partage par le milieu les genres, les espèces) ; cette division étant complétée par un rassemblement, dit encore Platon. Et de plus, à la suite de Socrate, Platon caractérisait cet art dialectique (é dialectiké techné) comme un art de questionner et répondre, un art maïeutique. Ensuite, Aristote l’a caractérisé à partir d’un échange de propos entre interlocuteurs ; cet échange sera amené à privilégier le probable, le vraisemblable, à faire surgir un problème : c’est le lieu du syllogisme dialectique, dont les prémisses sont probables, – et qui dès lors se distingue du syllogisme scientifique. Mais ici, dans ce texte, par dialectique, il faut entendre précisément ce mot comme l’ont défini Zénon et Chrysippe : pour eux, le mot « dialectique » coiffe les raisonnements, la syllogistique, mais pas que cela. En effet, la dialectique est l’étude du langage, l’étude du discours :

« La plupart des stoïciens sont d’accord entre eux pour estimer devoir commencer la théorie dialectique par le lieu relatif au son vocal. Le son est de l’air frappé ou le sensible propre de l’ouïe…chez l’animal à la suite d’une impulsion ; chez l’homme à partir de la pensée. (…) Une lexie – ou mot- est un son vocal transcriptible, comme « jour » ; une expression – ou proposition – est un son vocal émis à partir de la pensée, comme « il fait jour ».(…) Il y a cinq types d’expressions : le nom, l’appelatif – ou prédicat : l’homme, le cheval – , le verbe, la conjonction et l’article. » Diogène Laerce, VII, 54-83)

La dialectique part donc des éléments de la langue parlée (phonèmes, mots), traite ensuite des concepts, des espèces et genres, et des ambiguïtés. Logiquement suivent alors l’étude des significations, des propositions, des arguments ; et l’énoncé des indémontrables. Ainsi il est clair que sous le mot « dialectique », les stoïciens mettent tout ce que nous, nous appelons la logique, depuis les mots, en passant par les propositions, jusqu’aux raisonnements. Car la dialectique pour eux est une voie d’accès à la vérité, la voie que nous dirions « formelle ». Le sage est toujours un dialecticien, disent-ils, autrement dit il sait que « du vrai suit le vrai », comme de la proposition « il fait jour » suit la proposition « il y a de la lumière » ; que du faux suit le faux : comme de « il fait nuit », si c’est faux, suit « il y a de l’obscurité » ; mais du vrai le faux ne peut s’ensuivre : car de la proposition « la terre existe » il ne s’ensuit pas que « la terre vole ». (Diogène Laerce, VII, 81) Les stoïciens avaient mis en place une logique de la conjonction, de la disjonction, de l’implication des propositions, tout à fait différente de la logique d’Aristote, anticipatrice de la logique du XX°s.

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