Descartes. Principes de la philosophie, livre I. La substance
A cause du doute qui a mis entre parenthèses et mon corps propre, et le monde, « je » pense se développe par : je suis une chose pensante, une res cogitans. Mais cette res n’a aucun des caractères d’une « chose » qui est corporelle, ce n’est pas un volume d’une certaine densité ou masse. Non : c’est juste une suite de pensées. Alors il existe deux substances, transcendantes l’une à l’autre : elles n’ont aucun attribut en commun. Elles ont entre elles une « distinction réelle ».
Comment Descartes définit-il et entend-il ce qu’il appelle « une substance » ? Nous rencontrons ce mot souvent dans la première partie des Principes, et les deux expressions dominantes sont « la substance pensante » et « la substance étendue ». Cela est original : à première vue, il ne s’agit pas, d’un usage aristotélicien du mot « substance », car par ce mot, en désignant le sujet de la proposition de forme normale A est B, la substance ou ousia était soit le nom d’un individu, soit le nom d’une espèce qui pouvait être inclus dans un genre plus grand exprimé par le prédicat (Socrate est un homme ; un homme est un être vivant) ; il ne s’agit pas non plus des usages postérieurs de ce mot qu’en feront Spinoza (il n’y a qu’une substance, Dieu, être à une infinité d’attributs dont les choses singulières ne sont que des modes finis) ; et Leibniz, qui, définissant un individu par une « notion » comprenant tous ses prédicats, en fait, à titre de monade, ou d’âme, ou d’esprit, l’ensemble de ses destinées possibles. Il faut saisir et bien circonscrire l’usage unique et original que fait Descartes de la notion de substance. Il faut peut-être rattacher davantage l’usage cartésien du mot substance à l’« upokeimenon » : ce qui demeure ou subsiste « dessous » une chose ou un être.
Comment, une fois posée l’ontologie des deux substances, allons-nous les connaître ? Quelle est la singularité de la notion de substance chez Descartes ? Comme le mot lui vient de l’Ecole, il lui accorde le sens qu’il avait pris là : une substance est une chose qui existe en telle façon qu’elle n’a besoin que de soi-même pour exister ; et elle a des attributs internes, nécessaires. De plus, nous apercevons quelque chose d’une substance, nous qui pensons : nous appelons cela les propriétés de la substance. La substance est le support des modes, ce qui les produit : par exemple, si la substance étendue se caractérise par la longueur, largeur et profondeur, il faudra bien qu’un corps prenne « figure », par exemple (sphère, ou cube, ou chat, etc. ), ou qu’il reste là comme l’obélisque de Karnak une fois posé sur la place de la Concorde, ou qu’il se meuve comme les véhicules qui tournent autour.