De la pantomime à l’hiéroglyphe; ordre de la langue et ordre de l’art

Autant la pantomime est partout présente et importante sans l’oeuvre de Diderot, autant l’hiéroglyphe est un concept étrange et fugitif, repérable dans la seule Lettre sur les sourds et muets. Or la Lettre les réunit in præsentia, exaltant leurs différences (expressivité-impressivité, extensivité-intensivité) et leur proximité philosophico-poétique : en relation avec les problématiques du siècle elles interrogent chacune à sa manière l’ordre du discours (à l’articulation de la pensée et de la langue) et celui, chaque fois spécifique, des arts (poésie, musique, peinture, sculpture, danse, théâtre…). Sans évincer, au contraire, la dimension polémique, provocante et persifleuse d’une Lettre à bien des égards déroutante, l’objet de cet article est une tentative de lecture serrée, littérale. S’y préfigurent diversement les textes des années 1757-58 sur le théâtre (où la pantomime joue un rôle décisif, par le biais, en particulier, du « sublime de situation ») et sur la peinture (ou le critique « sourd » s’interroge sur le langage de gestes d’une foule de « muets »), mais aussi les oeuvres-phares matérialistes de la maturité, Le Rêve de D’Alembert et le Paradoxe sur le comédien. Sur fond d’enquête à la fois ontogénétique et phylogénétique d’une grande subtilité, la Lettre de 1751 multiplie des expériences de pensée « parapantomimiques » relayées par des « explications de textes » « emblématiques » dans la ligne de l’enseignement des Pères renouvelé par le cosmopolitisme savant des Lumières, attentif au grec, au latin, au français, à l’italien, à l’anglais, et à leurs « inversions », entre le son, l’image et le sens… Par delà même le « modèle idéal » explicité dans le Salon de 1767, la clé de ces avancées ne se trouve-t-elle pas dans la Satire seconde, où les pantomimes concertées-déconcertantes de Lui, sous le regard ambivalent de Moi et sous la plume ironique du narrateur, sans nier la doctrine de la mimèsis classique mais en la portant à la limite d’elle-même, retrouvent quelque chose de la présence intense, intime, complexe et simultanée, autant musicale que picturale, de l’hiéroglyphe ?

https://journals.openedition.org/rde/4794