Aux sources de l’Etat selon Hobbes

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D’APRES LES ELEMENTS OF LAW NATURAL AND POLITIC :

RATIO, ORATIO, RATIOCINATIO

Diderot, dans une lettre à Sophie Volland, s’extasiait sur “le traité sublime de la nature humaine” rédigé par Hobbes en 1640. Voilà, estimait-il, Locke et Helvétius, aussi bien que La Bruyère et La Rochefoucauld, dépassés, voire écrasés par les “vérités” relatives aux “principaux ingrédients de la nature humaine” qu’entasse Hobbes avec un ordre éblouissant. Si Diderot jugeait mauvaise la traduction que venait de donner le baron D’Holbach des treize premiers chapitres des Elements of Law, il en recommandait néanmoins la lecture, une fois l’an, à son enfant et à son amie. Pas plus que D’Holbach, il ne pouvait demeurer indifférent à l’universel mécanisme auquel le philosophe de Malmesbury rapportait la nature et les œuvres de l’homme et il était frappé par l’insistance avec laquelle Hobbes, dans tous ses ouvrages d’ailleurs, scrutait la nature humaine – à la fois la nature en l’homme et la nature de l’homme. Diderot, qui désapprouvait le “hobbisme” à raison de la pente politique qui, à ses yeux, l’emportait vers l’absolutisme, avait néanmoins le tort de ne pas souligner, et probablement de ne pas saisir, le lien serré qui, selon Hobbes, rattache la politique à l’anthropologie. Or, dans le corpus du philosophe anglais, ce lien est essentiel. Il apparaît expressément dès les Elements of Law. Seulement, pour comprendre le rapport qu’entretient la politique avec l’anthropologie, il est nécessaire d’interroger à la fois les circonstances dans lesquelles fut rédigé l’écrit de 1640 et la manière dont les thèses alors énoncées se répercuteront dans les œuvres ultérieures du philosophe (I). Nous pourrons alors mesurer l’importance que, dans la première partie des Elements of Law intitulée Human nature, prend la coexistence de ce que D’Holbach appelle de manière pittoresque les “deux ingrédients” de la nature humaine : la passion et la raison. En effet, c’est moins la juxtaposition de ces “two principal parts of our nature” que leur rapport quasiment dialectique qui, sous la conduite de la raison, détermine la spécificité de l’humaine nature. C’est pourquoi il importe d’examiner ce que sont la nature, la place et la fonction de la raison qui fait l’humanité de l’homme (II). Cependant, Hobbes n’étudie la nature humaine – il le dit lui-même – que dans la mesure où sa connaissance permet de comprendre les causes profondes de la condition politique des hommes, point nodal de la réflexion du philosophe. C’est pourquoi Hobbes explique, en une démarche d’une rigueur logique exemplaire, ce qu’est l’institution de l’état civil par les pouvoirs de la raison : parce que le propre de la raison (ratio) est de parler (oratio) et de raisonner (ratiocinatio), le geste le plus authentique de la nature humaine est d’arracher l’homme à sa condition naturelle en édifiant l’artifice de la condition civile ou de l’Etat. L’homme, décidément, n’est pas un animal comme les autres (III).

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