Kant et le bonheur

Kant a la solide réputation d’être un anti-eudémoniste forcené. Si certains y ont applaudi, tel un Max Scheler qui, dans son Formalisme en éthique de 1913, insiste sur le signalé service rendu par Kant à la cause de la morale, en la débarrassant de tout eudémonisme (d’en avoir eu à tout le moins l’intention car, aux yeux de Scheler, seule une éthique matériale peut combattre de manière décisive tout eudémonisme), d’autres l’ont stigmatisé : tel un Nietzsche qui décèle un relent de cruauté de l’impératif catégorique (GM, § 6) ; Kant haïrait le bonheur, l’immolerait sur l’autel de la raison pratique et pousserait à bout la logique de l’idéal ascétique.

Mais, paradoxalement, Kant a pu tout de même passer aux yeux de certains pour un eudémoniste, sinon ouvertement, du moins sournoisement. Pour être moins répandue et être moins commune, cette thèse n’en existe pas moins ; je ne lui vois pas moins de deux représentants et non des moindres : Hegel et Schopenhauer !

Loin de voir en Kant un apôtre de la morale ascétique, Hegel dénonce dès 1802 (Glauben und Wissen, Introd.) l’eudémonisme kantien : loin de se dégager de l’eudémonisme plat de l’Aufklärerei, Kant a porté cet eudémonisme au maximum ; loin de tourner le dos au méprisable eudémonisme ambiant, il en aurait professé une forme perfectionnée !

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