Nature et Logos. D’une pensée de la fondation à la pensée de l’entrelacs
Pendant l’année 1959-1960, Merleau-Ponty a présenté au Collège de France un cours intitulé « Nature et Logos : le corps humain ». Ce cours est le dernier chapitre d’une série de travaux commencés en 1956-1957 et consacrés à la Nature. Selon le résumé du cours de 57-58, ces travaux sur la nature sont un chemin vers l’ontologie, la question de l’être. Pourquoi commencer par la nature pour entrer dans la question de l’être ? Ne faudrait-il pas plutôt, observe Merleau-Ponty, donner une priorité à l’histoire, au motif que nos conceptions de la nature sont prises dans le tissu de l’histoire, ou même commencer directement par l’ontologie en considérant que toute étude de la nature présuppose une pré-compréhension de l’être de la nature et des essences qui en sont l’articulation interne ? A ces objections, Merleau-Ponty oppose les arguments suivants. D’abord on ne peut pas entrer directement dans l’ontologie, l’ontologie ne peut être qu’indirecte, on ne peut aller à l’être qu’à travers les êtres et par un approfondissement de notre contact avec le monde. Ensuite l’historicité, incontestable, des conceptions de la nature, n’autorise pas que l’on replie la nature sur l’histoire et que l’on fasse de la philosophie de l’histoire le contenu latent et vrai de la philosophie de la nature. L’histoire est aussi incapable de contenir ou d’absorber en elle l’être de la nature que l’être de la nature de contenir ou d’absorber l’histoire. En donnant une priorité ontologique à la nature, mais sans « postulat naturaliste », Merleau-Ponty exprime son refus d’enfermer la philosophie dans une « vue de la conscience », c’est-à-dire dans une conception « immatérialiste » de l’être et de la vérité. Une fois suspendue la primauté de l’esprit, la vue est libre pour discerner « le lien de tous les problèmes », c’est-à-dire la dépendance mutuelle, à double sens, entre les ordres de l’être et du savoir : « il y a cercle Nature – ontologie – histoire, mais justement dans le cercle, rien n’est premier qui ne soit second ; on ne peut que l’instituer en un point du cercle et suivre les implications ».
La philosophie doit donc abandonner le projet de fonder les êtres sur un être qui aurait la primauté sur les autres, elle doit substituer à cette fondation une interrogation de l’être par les êtres ou à travers les êtres. La tâche de la pensée n’est pas de hiérarchiser les ordres de l’être ou de les dériver ou de les réduire les uns aux autres mais plutôt de les penser l’un dans l’autre, Ineinander, ou de penser le « tissu conjonctif » qui les unit, leur « entremonde », sans que cela signifie confusion : ils sont ensemble du côté de ce qui n’est pas rien, on retrouve tous les autres en chacun et pourtant ils ont chacun leur propre sens d’être. Penser cet entremonde est la tâche de l’ontologie.