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Définir, décrire, classer – cela suffit-il pour connaître les choses ? Le plus notable de prime abord dans cette liste de trois opérations de pensée, c’est moins leur profusion, qui dissémine certes la connaissance des choses en de multiples actes, que la restriction que cette liste impose. Non seulement la trinité ainsi constituée représente une coupe drastique dans la diversité des actes par lesquels on a pu décrire l’accomplissement d’une connaissance des choses – percevoir, intuitionner, sentir, juger, déduire, induire, expliquer, rendre raison, démontrer, prouver, manifester, dévoiler, diviser, rassembler, etc. – , mais, plus encore, on peine à saisir la raison qui anime un tel partage, le lien intime qui unit ces trois opérations et justifie qu’on les isole de toutes les autres – au risque que cet isolement et que ce regroupement ne manifestent que leur arbitraire.
Ou c’est peut-être, plus qu’un lien intrinsèque, une raison strictement négative qui pourrait donner un fondement à ce regroupement – comme si l’on se concentrait sur les opérations auquel on se donne encore droit quand toutes les autres sont apparues trop ambitieuses. Le plus frappant dans cette triade, c’est en effet l’omission du type d’opération par rapport auquel ces trois-ci n’ont été, pour les fondateurs de la philosophie, que des opérations adjuvantes ou préparatoires. Pour Platon en effet comme pour Aristote, connaître les choses, c’est les expliquer, en rendre raison en les rapportant à leur cause, pouvoir dire « pourquoi » elles sont comme elles sont. Et c’est par rapport à cette opération que définir, décrire ou classer peut s’avérer utile ou nécessaire, mais de manière seulement subordonnée.

On sait que s’élabore, dès la fin du dix-septième siècle, et tout au long du dix-huitième, une mythologie du peintre (et aussi de son frère, parfois ennemi, l’écrivain) : figures héroïques, que les Lumières ont fait entrer dans l’Histoire, et qui, depuis, n’ont cessé de hanter nos idéologies. Ayant abordé ailleurs l’étude de ce champ, chez ceux que l’on peut appeler les critiques d’art, de Félibien à Diderot, je me demanderai ici quelles fonctions (sans exclure la symbolique) remplit chez Condillac la référence au peintre, à la toile, à la peinture, et en quoi elle éclaire sa conception du langage. Ce n’est pas sans espérer, en retour quelque lumière, sur tel énoncé de Diderot, celui, par exemple, du salon de 1765, où, ayant évoqué, à propos de Chardin, ces « philosophes » qui disent « qu’il n’y a rien de réel que nos sensations », l’écrivain s’exclame : « qu’ils m’apprennent, ces philosophes, quelle différence il y a pour eux, à quatre pieds de tes tableaux, entre le Créateur et toi ! » Que vient faire Condillac, indirectement désigné, dans cet amusant télescopage entre idéalisme et théologie? Assurément, il s’agit d’amener l’hyperbole Chardin-Créateur. Mais cette hyperbole, nous avons d’autant plus de raison de la prendre au sérieux que le terme de créateur est devenu, depuis, d’usage fort courant dans notre vocabulaire esthétique. Il y a peut-être quelque raison pour que Diderot, affronté au mystère Chardin, s’adresse à Condillac.

Que nous tendions à la paix, nul doute pour Pascal. Mais à laquelle ? L’une, qui est le contraire de la guerre civile, ne s’obtient chez les hommes qu’en méconnaissance de la justice qui seule pourrait lui donner sa consistance positive ; l’autre, qui s’oppose à l’inquiétude et au branle de toutes choses, est le plus souvent recherchée comme simple apparence de tranquillité dans l’ignorance, l’indifférence voire l’agitation. La première, sociale et politique, peut donc être atteinte (même si le coût en est élevé, même si elle n’est au mieux qu’une caricature) ; la deuxième, existentielle et morale, ne le sera certainement pas par la voie empruntée, laquelle pourrait certes conduire au « bonheur gras de la bonne conscience » (Nietzsche) si les hommes n’étaient d’une nature contradictoire (« ils croient chercher sincèrement le repos, et ne cherchent en effet que l’agitation »), s’ils ne redoutaient d’accéder à une « paix de l’âme » qui ne serait jamais qu’ennui : ces deux versions, donc, renvoient toujours chez le philosophe à une troisième, toute spirituelle et ne pouvant être donnée que par Dieu seul, paix véritable et eurythmique, ou repos. Devons-nous, avec Pascal, nous résigner à une injuste paix civile, constater l’impossibilité d’une pacification intérieure par nos seules forces et, finalement, donner d’autres noms à la paix ?

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nietzsche-2.jpgIl convient de lire Nietzsche avec l’attention d’un philologue pour tirer profit de ce qu’il a écrit. Il ne faut pas plaquer sur cette lecture de notions préétablies. Chez Nietzsche, il n’y a pas d’homogénéité systématique entre une doctrine générale nietzschéenne et le contenu de tel ou tel texte.
Il n’y a pas de système de Nietzsche. Il n’y a pas de savoir portant sur une doctrine de Nietzsche qui permettrait de manipuler telle ou telle clef pour expliquer un texte donné. On risque souvent d’importer dans un texte de Nietzsche une notion qui ne s’y trouve pas, par exemple : la volonté de puissance ou l’éternel retour de l’identique, la décadence, la morale, la métaphysique, etc. L’expression “volonté de puissance” – pour ne citer qu’elle – est apparue tardivement dans les textes de Nietzsche puis elle a disparu. Ce n’est donc pas la peine de forcer un texte pour introduire ce concept à tout prix, pour tenter d’en comprendre un passage.

Il est parfois difficile de se défaire de réflexes, de l’aide d’un certain nombre de clés prétendument utiles et, par là, de s’empêcher de faire pression sur le texte. Mais on peut découvrir un certain nombre de repères qui ne font pas système. Ces repères permettent de s’orienter dans l’évolution de la recherche de Nietzsche.

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eccehomo.jpgEcce homo est le dernier ouvrage que Nietzsche a composé dans l’année 1888. Ce livre ne sera publié qu’en 1908. Nietzsche a terminé sa carrière intellectuelle le 6 janvier 1889, à Turin.
Ecce homo a comme sous-titre « Comment on devient ce qu’on est ». Nietzsche reprend cette formule à Pindare [Pythique II, 72]. On la retrouve dans le Troisième Livre du Gai Savoir, § 270 :
« Que dit ta conscience ? – Tu dois devenir celui que tu es »

Le texte introductif que constitue la Préface (écrite postérieurement, comme nombre de Préfaces) d’Ecce homo présente la problématique de Nietzsche. Pour ce dernier, la morale et la culture sont constituées par des idéaux sans liens avec la réalité.
Nietzsche, donc, expose ici le projet de son livre mais aussi de son œuvre tout entière.

Nietzsche se présente également lui-même car il a une tâche à accomplir et c’est à cela qu’il relie la nécessité de se présenter.
Nietzsche se présente car il va lancer un défi. Ce défi consiste à proclamer et établir que ce que le monde occidental propose comme idéaux n’est absolument rien (au sens ontologique de ce terme).
Nietzsche somme ses lecteurs, comme dans un combat, d’inventer de nouvelles valeurs, à renoncer aux idéaux actuels, à extirper la maladie qu’ils causent. Il faut opérer une transvaluation des valeurs. Il ne s’agit pas de réévaluer les valeurs, ce qui signifierait qu’elles sont bonnes et donc qu’on les maintient en leur donnant un autre taux, comme on réévalue un taux de crédit. Il faut renouveler les valeurs, leur donner un nouveau sens, un sens entièrement retourné, transformé. Les valeurs ne sont pas anéanties mais, au lieu d’aller dans le sens de la négation de la vie, elles iront désormais dans celui de l’affirmation de la vie et de la réalité.

Plan de ce cours :

– Introduction
– Le titre : Ecce homo
– Commentaire Préface : §1 et §2
– Les autres textes sur les mêmes recherches
– « Pourquoi je suis un destin ? »

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41DuMfYW12L._AA240_-2.jpg Nietzsche se présente comme un penseur qui veut rompre avec les idéaux anciens, philosophiques et religieux. Cependant, ses références sont essentiellement issues de la Bible et de Schopenhauer. Ses attaques contre la religion (christianisme) sont à la fois pertinentes et injustes. Il les conduit avec la véhémence des prophètes combattant les idoles, les faux dieux. Il met en cause le moralisme, comme Jésus l’a fait….
Le titre, Crépuscule des idoles, est une allusion parodique au Crépuscule des dieux de Wagner, quatrième opéra de la tétralogie de l’Anneau de Nibelung (1869-1874). C’est dans la provocation, le rire qu’il convient de rechercher la pensée de Nietzsche, et la cohérence des images.
L’idole (image prédominante de ce texte) est le faux dieu que l’homme a lui-même créé et qu’il adore, oubliant qu’il se soumet ainsi à ses propres désirs, à ses rêves voire à ses défauts.
Le crépuscule, c’est la lueur de la tombée du jour. Dans la philosophie classique, la source de toute vérité, Dieu a toujours été présenté comme la lumière intense du soleil au zénith. Le processus de la connaissance, de Platon à Hegel, est de l’ordre de la vision. Pour Nietzsche, cette lumière de la vérité, le Dieu-soleil, pâlit. C’est le déclin, en Occident, du fondement premier de toutes les valeurs. « Dieu est mort ».
À l’exemple de Moïse, Nietzsche se présente comme le destructeur des idoles. Quand vient le crépuscule on ne peut plus voir distinctement, il faut donc écouter, ausculter les idoles. Il faut avoir l’ouïe fine, une « seconde paire d’oreilles » pour déceler ce qui est caché. Nietzsche montre alors la maladie intérieure des idoles.
Il appelle cette méthode « psychologie », « sémiotique », « symptomatologie » et d’un terme générique, la « généalogie ». La généalogie permet de remonter d’un symptôme manifeste à son origine corporelle cachée.

Le but, dans ce travail, est d’analyser la question du mental et la critique du psychologisme chez Ludwig Wittgenstein. En particulier je tâcherai de mettre en évidence que chez Wittgenstein il est question d’une philosophie davantage que d’une psychologie du mental. En outre, je montrerai que le philosophe suggère une image générale de l’analyse philosophique comme description.
Comme le philosophe italien Massimo De Carolis le rappelle, la critique du psychologisme c’est-à-dire la critique du nivellement du sens des expressions linguistiques sur la représentation (ou, au sens plus général, sur l’activité psychique) a ses racines dans la pensée de Gottlob Frege et Edmund Husserl, et représente donc un point commun à la tradition de la philosophie analytique et à la tradition phénoménologique.
En ce qui concerne les réflexions wittgensteiniennes sur le mental, il faut rappeler que les interprétations traditionnelles s’accordent sur la lecture de la pensée wittgensteinienne en tant que travail de démystification et de « démentalisation » de la psychologie. En tenant compte de l’arrière plan d’une conception non essentialiste je considérerai ici en particulier deux pivots théoriques de l’analyse philosophique wittgensteinienne: la critique de l’internalisme (laquelle résulte de la négation de l’autonomie épistémique du principe d’introspection), et la fonction du langage en tant qu’élément de trait d’union entre l’extériorité et l’intériorité (et, par conséquence, constitutif de l’individu en tant que sujet d’expression).

Il ne peut être question de présenter en quelques lignes « la métaphysique de Kant » à supposer d’ailleurs (ce dont je doute) qu’elle ait jamais été produite par lui comme un système et encore moins comme un « système de la métaphysique ». Y a t il seulement un « système de Kant » ? De cela on peut aussi douter, si par système on entend le développement uni-total dans l’élément du concept de l’effectivité de l’être, dont pour nous l’Encyclopédie des sciences philosophiques de Hegel est la dernière manifestation et dont l’Ethique de Spinoza était pour l’époque, et Kant en particulier, le modèle ou le repoussoir . Mais on notera dès à présent que ni l’Ethique ni l’Encyclopédie ne se réclament de la métaphysique. Le mot est porteur d’une signification qui renvoie au transcendant et ce système uni-total de la pensée de l’être que produisent tant l’Ethique que l’Encyclopédie exclut en fait le concept même d’un « méta-physique ».

Le texte de Nietzsche qui inaugure la deuxième Dissertation de la Généalogie de la morale élabore à nouveaux frais la compréhension de l’oubli et de la mémoire. Il rattache ses deux facultés à des fonctions psychiques complexes dont le statut général et commun est d’être des modalités de la volonté. Le concept de celle-ci est modifié de même que la compréhension de la conscience et de l’être que nous sommes nous-mêmes. L’articulation générale de ces concepts est orientée sur la socialisation de l’homme, de telle sorte que ce texte porte en amont sur le devenir culturel de l’homme compris d’abord comme être naturel et en aval sur le sens social de toutes les possibilités qui dépendent de la promesse, l’engagement de soi dans un contrat quelconque d’ordre moral ou politique, la responsabilité. Aussi l’analyse de l’oubli et de la mémoire est sous-tendue non seulement par une compréhension déterminée de la vie psychique mais aussi par une compréhension déterminée de l’origine sociale des structures de cette vie psychique.

Dans bien des textes, Nietzsche donne son interprétation des théories philosophiques antiques et classiques de l’essence de l’homme. Cette interprétation se développe selon deux directions, l’une théorique, l’autre historique. Celle-là concerne le fondement théorique ou même métaphysique de l’essence de l’homme. Celle-ci, à partir d’une nouvelle détermination de l’essence de l’homme, donne une interprétation historique du destin de celui-ci. La critique radicale opérée dans cette perspective conduit à considérer l’homme comme l’effet d’un concept métaphysique, comme un être dont l’essence est déterminée par un concept métaphysique de telle sorte que l’être lui-même est modifié par ce concept, par cette façon de se comprendre soi-même. L’originalité de cette pensée consiste dans l’idée que la compréhension de soi, les concepts par lesquels l’homme se comprend lui-même, modifie cet être lui-même . Tout se passe comme si l’essence de l’être que nous appelons homme consistait à modifier cette essence ; et pourtant Nietzsche affirme que cet être a une essence propre, méconnue voire mortifiée par les théories spiritualistes. Il nous appartiendra d’examiner cette difficulté ; il conviendra de savoir en particulier si elle tient à une incohérence de la pensée nietzschéenne ou bien si elle tient à toute entreprise métaphysique, qu’elle soit classique ou qu’elle subvertisse la métaphysique classique. Peut-être l’inversion de la métaphysique classique reste déterminée dans le mode de pensée par cette métaphysique même. Le présent travail a pour objet de vérifier cette hypothèse peu originale sur un texte très précis et au long d’une analyse aussi pointue que possible : il s’agit du texte intitulé Des contempteurs du corps dans le poème philosophique Ainsi parlait Zarathoustra.