S’il est une philosophie qui a la réputation d’avoir parié radicalement pour la nécessité, d’avoir bloqué la contingence et le hasard, c’est bien celle de Spinoza. Aussi il est important et de la comprendre, et d’en prendre la mesure. La pensée de Spinoza s’étant peu à peu précisée, nous allons d’abord nous apprivoiser à sa singularité en commençant par ses premiers écrits. Laissons-nous déconcerter. Et tentons de voir comment il précise de mieux en mieux sa thèse que l’on peut à bon droit appeler « nécessitariste ».

I. Premier essai. Traité de la réforme de l’entendement

« J’appelle impossible la chose dont la nature implique qu’il y ait contradiction à poser son existence ; nécessaire, celle dont la nature implique qu’il y a contradiction à n’en pas poser l’existence ; possible, celle dont l’existence, par sa nature même, implique qu’il n’y a pas contradiction à poser ou non son existence, mais dont la nécessité ou l’impossibilité d’existence dépend de causes que nous ignorons, aussi longtemps que nous l’imaginons exister par fiction. Par suite, si cette nécessité ou cette impossibilité qui dépend de causes extérieures nous était connue, nous ne pourrions en forger la fiction. » (Traité de la réforme de l’entendement ou TRE, § 53)

Tel est la première approche que fait Spinoza des notions liées de possibilité, nécessité et impossibilité. Que notons-nous ?

D’abord il faut savoir qu’il a posé une fiction simple : Pierre, un ami, viendra me voir.

Ensuite, nous remarquons que ces notions concernent l’existence de cette visite : possible, nécessaire ou impossible. Réfléchissons-y simplement :

Pierre viendra-t-il me voir ? – c’est possible : il va le faire, s’il en a le désir et n’en est pas empêché. Mais ces deux conditions, moi, j’ignore si elles sont toutes deux remplies. Alors cette visite dont je rêve reste possible.

Pierre viendra-t-il me voir ? – c’est impossible si Pierre est cloué au lit par une maladie, ou s’il est parti vraiment trop loin.

Pierre viendra-t-il me voir ? – c’est nécessaire, s’il le veut et s’il le peut, si je pense que c’est un homme qui l’a promis et qu’il tient ses promesses.

Cette fiction simple n’est pas commentée par Spinoza en termes de contingence. Pourtant c’est ce qu’un Aristote aurait fait, argumentant qu’au moment présent, où je pense à la venue future de Pierre, la proposition « Pierre viendra » a pour concurrente sa contraire : « Pierre ne viendra pas » : l’événement peut ou non se produire, cela dépend du concours de circonstances qui fait qu’un événement arrive ou non. Autrement dit cela dépend de multiples causes, ne serait-ce que : il faut que Pierre se lève, soit vaillant, ait assez d’argent pour acquitter un trajet de train, veuille vraiment me voir, soit libéré de son travail, etc.

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