Marie de la Trinité et Jacques Lacan. Une relation à l’épreuve de la foi: fermeté d’âme et angoisse d’être

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Marie de la Trinité et Jacques Lacan – deux personnalités connues dans des milieux bien différents : pour l’une le domaine de la mystique et de la spiritualité, ce dont témoignent ses écrits (30 carnets d’oraison) – pour l’autre le domaine de l’investigation de l’inconscient dont il a dit « qu’il est structuré comme un langage. » (Séminaire Encore p. 24)

Aux aléas de la relation analyste-analysant, les deux se « trouvent », en inventant une relation, dite de « transfert », d’où va naître une vérité : vérité de l’un et de l’autre qui est déjà dans l’un et dans l’autre. Dans le dialogue analytique, dit Lacan, il se passe quelque chose dont il s’étonne lui-même : Comment se fait-il que ces rêves […], la façon dont le sujet constitue ses symboles, portent la marque saisissante de la réalité de l’analyste, à savoir de la personne de l’analyste telle qu’elle est constituée dans son être ? (Symbolique, Imaginaire, Réel 1953 ; p. 53-54)

Dans les années 50, au moment où Marie de la Trinité entre en analyse avec Lacan, au moment où Lacan commence son enseignement théorique de l’inconscient, Paul Tillich, théologien luthérien allemand, propose de faire dialoguer l’univers spirituel et l’univers psychanalytique, sans les réduire ni les subordonner l’un à l’autre. Il demande à la médecine de reconnaître qu’une angoisse existentielle non pathologique est inhérente à la nature humaine. Aux Eglises, il demande de prendre au sérieux la spécificité des méthodes psychothérapeutiques.

« Le névrosé, dit Tillich, est une personne qui a évité de se réaliser parce que cet accomplissement aurait impliqué l’acceptation du non-être et de l’angoisse. Il a fui l’épanouissement de son être parce que cela aurait signifié, pour lui, de se confronter à la mort, à l’absurde, à la culpabilité, etc. »

Pourquoi s’est-il positionné ainsi ? « C’est, répond Tillich, parce qu’il est plus sensible que le commun des mortels à la menace du néant. » Mais justement parce qu’il est plus sensible que le commun des mortels, il va pouvoir se montrer « plus réceptif et plus intuitif que l’homme de la rue. » (Le courage d’être, p.13)

Le constat que fait Tillich s’applique parfaitement bien à Marie de la Trinité. Son angoisse existentielle l’a obligée, par réaction, à développer en elle une réceptivité et une intuition spirituelles qui appellent le mouvement de la grâce divine. Cette vie dans la grâce, elle en a fait une expérience très forte dont elle a rendu compte dans ses 35 carnets d’oraison. Son «exercice» d’écriture (de 1941 à 1946) est un acte de «courage d’être», une affirmation de soi dans la vie en Christ, en dépit des menaces du néant. C’est par cet acte que, sous la grâce, elle a développé son être spirituel avec une extrême finesse et une grande réceptivité à l’influence divine, malgré tous les éléments qui venaient contrecarrer cette affirmation de soi fondamentale.

Mais alors, que s’est-il passé qui est venu bouleverser cet équilibre précaire qui faisait de Marie de la Trinité une religieuse capable, en dépit d’un mal-être permanent, de surmonter, tant bien que mal, ses affects personnels pour tenir, dans le même temps, sa vie d’oraison et sa vie apostolique ouverte à la présence mystérieuse de Dieu.

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