Apogée du contrat ou fin du contrat ?
Il y a maintenant une trentaine d’années, J. Rawls remettait au premier plan de la réflexion politique, de la façon qu’il voulait la plus efficace possible, l’idée de contrat pour représenter les liens du citoyen avec l’Etat. Cette démarche était singulière dans la mesure où le contractualisme paraissait encore à l’époque à la fois périmé et radicalement réfuté sous les coups que lui avaient, naguère, portés Hume, puis les utilitaristes qui, pendant deux siècles, ne lui avaient pas ménagé les leurs. Or, sans récuser tout à fait l’utilitarisme, sans abolir -loin de là- toute justification de l’unification de la société par l’intérêt, Rawls retravaillait, dans la Théorie de la justice (1971) , la notion de contrat dont on avait tout lieu de croire qu’elle avait épuisé logiquement, sinon réellement, avec l’écriture concrète de systèmes politiques par Hobbes, Locke, Grotius, Pufendorf, Rousseau -pour ne citer que quelques grandes figures de penseurs contractualistes-, toutes ses possibilités de fondement.
On peut dire, à présent, que, loin d’être une excentricité sans lendemain, la reprise de la réflexion sur le contrat domine désormais la philosophie politique. David Gauthier, dans la dernière décennie, a même soutenu l’idée, qui aurait paru incongrue, il y a encore vingt ans, que la notion de contrat est l’idéologie dominante de nos sociétés depuis le XVIIème siècle au moins, qu’elle est un élément non négligeable de cohésion, non seulement de la façon dont ces sociétés se réfléchissent elles-mêmes, mais de ces sociétés mêmes ; et que, en dépit des apparences, Hume et les utilitaristes, comme Bentham, ne l’avaient jamais sérieusement ébranlée ; à telle enseigne que D. Gauthier se fait fort de montrer que Hume accepte l’essentiel du contractualisme. Les choses sont sans doute moins simples et il se pourrait bien que l’utilitarisme continuât d’être un frère rival du contractualisme au sein de la famille des idéologies issues du libéralisme.