Publications par Pigler Agnès

Plotin exégète de Platon ? La question du temps

Qu’est-ce que le temps ? À cette question, Platon répond, en Timée, 37 d 5, que « le temps est l’image mobile de l’éternité ». Cette définition platonicienne est commentée, comme on le sait, par Plotin en Ennéade, III, 7, 11. Son commentaire ne va cependant pas sans une modification préalable de la définition du temps donnée par Platon. En effet, si le temps reste bien chez Plotin l’image de l’éternité, il n’en est plus l’image mobile. Ainsi enseigne-t-il que le temps est « image de l’éternité » et qu’il « doit être à l’éternité comme l’univers sensible est au monde intelligible » (§ 11, 1. 46-47).

Cette « omission » eu égard à la lettre du texte platonicien prend toute son importance si l’on considère la manière très particulière dont Plotin comprend le récit de la genèse du monde dans le Timée, et notamment le problème du rapport entre l’intelligible et le sensible, ou entre ce qui est de l’ordre de l’éternité idéale et ce qui rend compte de la temporalité vivante — bref, ce qu’il est convenu d’appeler la dualité du monde des Idées et du monde sensible, telle qu’elle se trouve redoublée dans le Timée par la dualité du modèle et de son image. Pour Plotin, la mobilité est le propre de la vie. En définissant l’éternité comme « vie de l’intelligible » et le temps comme « vie de l’âme », il pose, à l’encontre de Platon, que l’éternité n’est pas liée au repos, ni le temps au mouvement. Ainsi s’amorce, chez lui, une compréhension ontologique du temps qui est liée à la nécessaire procession des hypostases, en rupture avec le temps cosmologique du Timée. C’est donc sur le statut très spécifique du temps comme « image de l’éternité » chez Platon et chez Plotin que portera notre analyse, afin de déterminer ce qu’il reste d’influence platonicienne dans la recherche plotinienne de l’origine et de la nature du temps en Ennéade III, 7, 11.

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La théorie aristotélicienne du temps nombre du mouvement et sa critique plotinienne

La définition du temps comme « nombre du mouvement selon l’antérieur et le postérieur » permet à Aristote de montrer que la réalité du temps dépend de la conjonction du mouvement physique et de l’acte de l’âme. En effet, selon le Stagirite, le temps est ce qui, dans le mouvement, est nombré par l’âme. Or, cette découverte explicite et consciente de la quiddité du temps, donnant lieu à sa définition, suppose, outre la perception du mouvement et celle du temps, la perception concomitante de l’acte de l’âme nombrant le mouvement. C’est qu’en effet, pour Aristote, la réalité du temps comme mouvement et comme acte de l’âme est immédiatement présente à la conscience qui perçoit le temps. L’âme qui définit le temps connaît ainsi simultanément le mouvement, sa propre place dans le mouvement qu’elle connaît et la transcendance de son acte par rapport au mouvement qu’elle nombre. Ainsi, les deux pôles de la réalité du temps aristotélicien s’impliquent d’une manière particulière dans la perception du temps puisque l’un d’eux, l’âme qui nombre, est engagé dans la réalité même du mouvement perçu. Ce qui revient à dire que, chez le Stagirite, l’ontologie du temps implique nécessairement une psychologie ou, pour l’exprimer encore autrement, que le temps, en se manifestant grâce à l’âme comme du nombrable propre au mouvement, acquiert par là même une certaine objectivité.

Dans son traité 45, De l’Éternité et du Temps, Plotin rattache lui aussi l’âme au temps, mais il fait de celui-ci la vie de l’âme, donnant ainsi une définition totalement originale du temps