Publications par Rossi Jean-Gérard

Le « Mind-body problem »

Héritier du problème traditionnel de l’âme et du corps, le « Mind-body problem » se pose aujourd’hui en des termes nouveaux dans le cadre d’une tentative de « naturalisation » inspirée du modèle scientifique.

La plupart des philosophes contemporains versés dans les questions de philosophie de l’esprit se situent par rapport à la thèse cartésienne. Le dualisme de l’auteur des Méditations Métaphysiques est toujours invoqué pour être, la plupart du temps, récusé. On peut même dire qu’il est présenté de manière caricaturale pour mieux servir de repoussoir.

Dans une large mesure, il semble que ce soit G. Ryle le responsable de cette situation. C’est lui en effet qui a combattu le premier ce qu’il appelait « le dogme du fantôme dans la machine » en quoi lui semblait se résumer la position cartésienne.

On s’explique dans ces conditions que le problème de la causation mentale, principale difficulté rencontrée par Descartes soit au cœur des débats et des controverses et que la plupart des solutions proposées s’efforce en premier lieu de le résoudre.

La tonalité générale des études contemporaines sur la question est moniste. Le dualisme cartésien impliquait une référence à l’esprit ; le monisme contemporain prend une forme matérialiste. Ceci s’inscrit dans une tentative de naturalisation des problèmes philosophiques, avec l’ambition plus ou moins avouée de garantir la scientificité des résultats de l’enquête.

Le monisme matérialiste peut revêtir plusieurs formes. Il peut reconnaître la spécificité du mental, au niveau des propriétés. On parle alors d’un dualisme des propriétés, pour l’opposer au dualisme des substances, mais l’expression peut se révéler égarante car en fait il reste au niveau du monisme. Mais le monisme matérialiste peut se révéler radical et se proposer alors d’éliminer toute terminologie mentaliste. Entre ces deux positions se situe toute la gamme des positions intermédiaires envisageables.

Ce qui est certain, c’est que la très grande majorité des auteurs anglo-saxons contemporains travaille dans le cadre d’un paradigme ne mettant pas en cause le monisme matérialiste et que toutes les controverses portent sur la meilleure façon d’accommoder ce choix théorique à nos intuitions courantes concernant le mental et notamment à ce qu’il est convenu d’appeler « la psychologie populaire ».

La philosophie pratique de Russell

Si le Russell célébré par les philosophes est le logicien des Principia Mathematica, l’inventeur de la théorie des descriptions et de la théorie des types, le théoricien de l’atomisme logique ou le partisan du monisme neutre, ce sont ses écrits sur la morale et la politique, ses prises de position en faveur de la paix ou contre l’utilisation des armes atomiques, ses jugements abrupts et lucides sur des questions de société qui lui ont valu une renommée internationale et la faveur du grand public. C’est que le philosophe de Cambridge s’est en fait rêvé dans le rôle d’un Voltaire du XX ème siècle et que, fait relativement rare dans le monde anglo-saxon, il a voulu tenir le rôle d’un intellectuel – au sens où on entend ce terme en France depuis le siècle des Lumières.

Mais tout se passe, et Russell lui-même n’est sans doute pas étranger à la chose, comme si une frontière étanche séparait la production philosophique de textes techniques consacrés essentiellement à la connaissance, de textes qu’on pourrait qualifier de témoignage et de combat et dont la place à l’intérieur de la philosophie russellienne fait problème. Russell lui-même avouait ne pas être satisfait de ce qu’il avait pu dire dans le domaine de l’éthique et soutenait qu’en face de l’action mieux valait un jugement correct qu’une doctrine en bonne et due forme, difficilement adaptable aux circonstances et applicable ici et maintenant. On peut par ailleurs se demander si une philosophie se voulant scientifique n’est pas tout naturellement conduite à laisser hors de son domaine toute réflexion d’ordre éthique ou esthétique. De ce point de vue on s’expliquerait que Russell n’ait pas considéré comme dignes de relever de la philosophie ses interventions dans le champ de la morale et de la politique.

Encore faudrait-il que sa contribution à l’éthique et à la politique se soit limitée à des interventions conjoncturelles, que sa conception de la philosophie ait été tributaire de la fascination pour la méthode au point d’exclure tout ce qui ne saurait être traité au moyen de celle-ci. Or tel n’est pas le cas. L’ensemble des écrits de Russell comprend un grand nombre de textes théoriques concernant l’éthique ; la prise en considération de l’évolution russellienne révèle un Russell s’interrogeant sans cesse sur la valeur et les limites de la philosophie et toujours oscillant entre une conception traditionnelle de la philosophie, laissant notamment sa place à la métaphysique, et une conception plus technique la réduisant à une philosophie de la connaissance.

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Russell, Critique de Kant

Tout en reconnaissant l’importance historique de Kant présenté à plusieurs reprises comme le fondateur de l’épistémologie moderne, Russell n’a cessé d’émettre tout au long de sa carrière philosophique, des jugements très sévères sur l’auteur de la Critique de la Raison pure. Ces jugements peuvent paraître excessifs, hâtifs, à l’emporte pièce (« Kant fut une pure calamité », « Kant me rend malade ») mais rien ne serait plus erroné que d’y voir l’expression d’une méconnaissance, voire le fruit d’une lecture hâtive de l’oeuvre kantienne. Le jeune Russell, comme en témoigne l’Essai sur les Fondements de la Géométrie de 1897, avait étudié avec grand soin la philosophie critique, s’était efforcé de l’ « évaluer » à l’aune de ce qui constituait à l’époque la « modernité », à savoir la « métagéométrie » et la logique néo-hégélienne de Bradley et de Bosanquet. Le trait remarquable c’est que le jugement porté sur Kant par Russell demeurera à peu près le même dans ses grandes lignes lors même que Russell aura abandonné l’ »idéalisme » de sa jeunesse, aura profondément modifié ses conceptions philosophiques et aura trouvé de nouvelles raisons de s’opposer à la philosophie kantienne.