Nietzsche – Aurore – Commentaire

Aurore reprĂ©sente la pĂ©riode (1881-1886) oĂč Nietzsche cristallise sa problĂ©matique concernant la morale. Il en questionne la signification en s’intĂ©ressant Ă  son origine.

L’origine de la morale est cachĂ©e dans la profondeur, l’arriĂšre-plan. Elle se trouve comme dans un sous-sol, un souterrain. Cette position de Nietzsche dans Aurore est nouvelle par rapport aux propos qu’il a tenus prĂ©cĂ©demment, par exemple dans Humain trop humain. À cette Ă©poque, Nietzsche fait plutĂŽt de la chimie des sentiments moraux que des Ă©valuations et interprĂ©tations. C’est l’analyse des affects. La chimie est comme une science naturelle, elle s’intĂ©resse aux causes et aux effets. La morale est un rĂ©sultat, la consĂ©quence d’une histoire. La morale a une histoire, elle se fonde sur la tradition, les mƓurs, les habitudes d’obĂ©issance. Les traditions morales, selon Nietzsche, valent plus par leur anciennetĂ© que par leur valeur intrinsĂšque. On respecte les mƓurs Ă©tablies. C’est un rĂ©flexe conservateur et traditionnel de la pensĂ©e. Ce qui est moral, c’est ce qui se fait. La plupart des philosophes, estime Nietzsche, n’ont fait qu’emboĂźter le pas. Les fondateurs de la morale sont en fait des personnes qui entĂ©rinent la ou les morales dominantes. C’est ce qu’il montre dans Humain trop humain

Dans Aurore, Nietzsche essaie de montrer que dans la morale, il s’agit plus d’expressions cryptĂ©es, d’affects, de pulsions, d’intĂ©rĂȘts que de mƓurs, de traditions, de pratiques Ă©tablies. Nietzsche est en train de rechercher comment on peut dĂ©signer sa recherche gĂ©nĂ©alogique s’appuyant sur la psychologie, pour fouiller les profondeurs.

Aurore est le livre oĂč Nietzsche esquisse pour la premiĂšre fois la thĂ©orie selon laquelle ce sont les instincts qui constituent l’ĂȘtre, la nature d’un individu.

ProlégomÚnes à une lecture philologique de Nietzsche

nietzsche-2.jpgIl convient de lire Nietzsche avec l’attention d’un philologue pour tirer profit de ce qu’il a Ă©crit. Il ne faut pas plaquer sur cette lecture de notions préétablies. Chez Nietzsche, il n’y a pas d’homogĂ©nĂ©itĂ© systĂ©matique entre une doctrine gĂ©nĂ©rale nietzschĂ©enne et le contenu de tel ou tel texte.
Il n’y a pas de systĂšme de Nietzsche. Il n’y a pas de savoir portant sur une doctrine de Nietzsche qui permettrait de manipuler telle ou telle clef pour expliquer un texte donnĂ©. On risque souvent d’importer dans un texte de Nietzsche une notion qui ne s’y trouve pas, par exemple : la volontĂ© de puissance ou l’éternel retour de l’identique, la dĂ©cadence, la morale, la mĂ©taphysique, etc. L’expression “volontĂ© de puissance” – pour ne citer qu’elle – est apparue tardivement dans les textes de Nietzsche puis elle a disparu. Ce n’est donc pas la peine de forcer un texte pour introduire ce concept Ă  tout prix, pour tenter d’en comprendre un passage.

Il est parfois difficile de se dĂ©faire de rĂ©flexes, de l’aide d’un certain nombre de clĂ©s prĂ©tendument utiles et, par lĂ , de s’empĂȘcher de faire pression sur le texte. Mais on peut dĂ©couvrir un certain nombre de repĂšres qui ne font pas systĂšme. Ces repĂšres permettent de s’orienter dans l’évolution de la recherche de Nietzsche.

Ecce Homo

eccehomo.jpgEcce homo est le dernier ouvrage que Nietzsche a composĂ© dans l’annĂ©e 1888. Ce livre ne sera publiĂ© qu’en 1908. Nietzsche a terminĂ© sa carriĂšre intellectuelle le 6 janvier 1889, Ă  Turin.
Ecce homo a comme sous-titre « Comment on devient ce qu’on est ». Nietzsche reprend cette formule Ă  Pindare [Pythique II, 72]. On la retrouve dans le TroisiĂšme Livre du Gai Savoir, § 270 :
« Que dit ta conscience ? – Tu dois devenir celui que tu es »

Le texte introductif que constitue la PrĂ©face (Ă©crite postĂ©rieurement, comme nombre de PrĂ©faces) d’Ecce homo prĂ©sente la problĂ©matique de Nietzsche. Pour ce dernier, la morale et la culture sont constituĂ©es par des idĂ©aux sans liens avec la rĂ©alitĂ©.
Nietzsche, donc, expose ici le projet de son livre mais aussi de son Ɠuvre tout entiùre.

Nietzsche se prĂ©sente Ă©galement lui-mĂȘme car il a une tĂąche Ă  accomplir et c’est Ă  cela qu’il relie la nĂ©cessitĂ© de se prĂ©senter.
Nietzsche se prĂ©sente car il va lancer un dĂ©fi. Ce dĂ©fi consiste Ă  proclamer et Ă©tablir que ce que le monde occidental propose comme idĂ©aux n’est absolument rien (au sens ontologique de ce terme).
Nietzsche somme ses lecteurs, comme dans un combat, d’inventer de nouvelles valeurs, Ă  renoncer aux idĂ©aux actuels, Ă  extirper la maladie qu’ils causent. Il faut opĂ©rer une transvaluation des valeurs. Il ne s’agit pas de réévaluer les valeurs, ce qui signifierait qu’elles sont bonnes et donc qu’on les maintient en leur donnant un autre taux, comme on réévalue un taux de crĂ©dit. Il faut renouveler les valeurs, leur donner un nouveau sens, un sens entiĂšrement retournĂ©, transformĂ©. Les valeurs ne sont pas anĂ©anties mais, au lieu d’aller dans le sens de la nĂ©gation de la vie, elles iront dĂ©sormais dans celui de l’affirmation de la vie et de la rĂ©alitĂ©.

Plan de ce cours :

– Introduction
– Le titre : Ecce homo
– Commentaire PrĂ©face : §1 et §2
– Les autres textes sur les mĂȘmes recherches
– « Pourquoi je suis un destin ? »

Crépuscule des idoles

41DuMfYW12L._AA240_-2.jpg Nietzsche se prĂ©sente comme un penseur qui veut rompre avec les idĂ©aux anciens, philosophiques et religieux. Cependant, ses rĂ©fĂ©rences sont essentiellement issues de la Bible et de Schopenhauer. Ses attaques contre la religion (christianisme) sont Ă  la fois pertinentes et injustes. Il les conduit avec la vĂ©hĂ©mence des prophĂštes combattant les idoles, les faux dieux. Il met en cause le moralisme, comme JĂ©sus l’a fait….
Le titre, CrĂ©puscule des idoles, est une allusion parodique au CrĂ©puscule des dieux de Wagner, quatriĂšme opĂ©ra de la tĂ©tralogie de l’Anneau de Nibelung (1869-1874). C’est dans la provocation, le rire qu’il convient de rechercher la pensĂ©e de Nietzsche, et la cohĂ©rence des images.
L’idole (image prĂ©dominante de ce texte) est le faux dieu que l’homme a lui-mĂȘme créé et qu’il adore, oubliant qu’il se soumet ainsi Ă  ses propres dĂ©sirs, Ă  ses rĂȘves voire Ă  ses dĂ©fauts.
Le crĂ©puscule, c’est la lueur de la tombĂ©e du jour. Dans la philosophie classique, la source de toute vĂ©ritĂ©, Dieu a toujours Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© comme la lumiĂšre intense du soleil au zĂ©nith. Le processus de la connaissance, de Platon Ă  Hegel, est de l’ordre de la vision. Pour Nietzsche, cette lumiĂšre de la vĂ©ritĂ©, le Dieu-soleil, pĂąlit. C’est le dĂ©clin, en Occident, du fondement premier de toutes les valeurs. « Dieu est mort ».
À l’exemple de MoĂŻse, Nietzsche se prĂ©sente comme le destructeur des idoles. Quand vient le crĂ©puscule on ne peut plus voir distinctement, il faut donc Ă©couter, ausculter les idoles. Il faut avoir l’ouĂŻe fine, une « seconde paire d’oreilles » pour dĂ©celer ce qui est cachĂ©. Nietzsche montre alors la maladie intĂ©rieure des idoles.
Il appelle cette mĂ©thode « psychologie », « sĂ©miotique », « symptomatologie » et d’un terme gĂ©nĂ©rique, la « gĂ©nĂ©alogie ». La gĂ©nĂ©alogie permet de remonter d’un symptĂŽme manifeste Ă  son origine corporelle cachĂ©e.

La promesse, la mĂ©moire, l’oubli et le temps : RĂ©flexions sur un passage remarquable de la GĂ©nĂ©alogie de la morale.

Le texte de Nietzsche qui inaugure la deuxiĂšme Dissertation de la GĂ©nĂ©alogie de la morale Ă©labore Ă  nouveaux frais la comprĂ©hension de l’oubli et de la mĂ©moire. Il rattache ses deux facultĂ©s Ă  des fonctions psychiques complexes dont le statut gĂ©nĂ©ral et commun est d’ĂȘtre des modalitĂ©s de la volontĂ©. Le concept de celle-ci est modifiĂ© de mĂȘme que la comprĂ©hension de la conscience et de l’ĂȘtre que nous sommes nous-mĂȘmes. L’articulation gĂ©nĂ©rale de ces concepts est orientĂ©e sur la socialisation de l’homme, de telle sorte que ce texte porte en amont sur le devenir culturel de l’homme compris d’abord comme ĂȘtre naturel et en aval sur le sens social de toutes les possibilitĂ©s qui dĂ©pendent de la promesse, l’engagement de soi dans un contrat quelconque d’ordre moral ou politique, la responsabilitĂ©. Aussi l’analyse de l’oubli et de la mĂ©moire est sous-tendue non seulement par une comprĂ©hension dĂ©terminĂ©e de la vie psychique mais aussi par une comprĂ©hension dĂ©terminĂ©e de l’origine sociale des structures de cette vie psychique.

Continuité et discontinuité dans la critique nietzschéenne de la métaphysique: Réflexions sur « les contempteurs du corps » dans Ainsi parlait Zarathoustra

Dans bien des textes, Nietzsche donne son interprĂ©tation des thĂ©ories philosophiques antiques et classiques de l’essence de l’homme. Cette interprĂ©tation se dĂ©veloppe selon deux directions, l’une thĂ©orique, l’autre historique. Celle-lĂ  concerne le fondement thĂ©orique ou mĂȘme mĂ©taphysique de l’essence de l’homme. Celle-ci, Ă  partir d’une nouvelle dĂ©termination de l’essence de l’homme, donne une interprĂ©tation historique du destin de celui-ci. La critique radicale opĂ©rĂ©e dans cette perspective conduit Ă  considĂ©rer l’homme comme l’effet d’un concept mĂ©taphysique, comme un ĂȘtre dont l’essence est dĂ©terminĂ©e par un concept mĂ©taphysique de telle sorte que l’ĂȘtre lui-mĂȘme est modifiĂ© par ce concept, par cette façon de se comprendre soi-mĂȘme. L’originalitĂ© de cette pensĂ©e consiste dans l’idĂ©e que la comprĂ©hension de soi, les concepts par lesquels l’homme se comprend lui-mĂȘme, modifie cet ĂȘtre lui-mĂȘme . Tout se passe comme si l’essence de l’ĂȘtre que nous appelons homme consistait Ă  modifier cette essence ; et pourtant Nietzsche affirme que cet ĂȘtre a une essence propre, mĂ©connue voire mortifiĂ©e par les thĂ©ories spiritualistes. Il nous appartiendra d’examiner cette difficultĂ© ; il conviendra de savoir en particulier si elle tient Ă  une incohĂ©rence de la pensĂ©e nietzschĂ©enne ou bien si elle tient Ă  toute entreprise mĂ©taphysique, qu’elle soit classique ou qu’elle subvertisse la mĂ©taphysique classique. Peut-ĂȘtre l’inversion de la mĂ©taphysique classique reste dĂ©terminĂ©e dans le mode de pensĂ©e par cette mĂ©taphysique mĂȘme. Le prĂ©sent travail a pour objet de vĂ©rifier cette hypothĂšse peu originale sur un texte trĂšs prĂ©cis et au long d’une analyse aussi pointue que possible : il s’agit du texte intitulĂ© Des contempteurs du corps dans le poĂšme philosophique Ainsi parlait Zarathoustra.

Volonté de vie et volonté de puissance

Schopenhauer et Nietzsche ont tous deux placĂ© la volontĂ© au cƓur de leur pensĂ©e, le premier sous forme de « volontĂ© de vie » [Wille zum Leben], le second, de « volontĂ© de puissance » [Wille zur Macht]. La proximitĂ© apparente des deux expressions invite d’elle-mĂȘme Ă  une confrontation, et ce d’autant que Nietzsche a Ă©tĂ© un lecteur fervent de Schopenhauer avant de s’en faire le critique intraitable. Mais de sĂ©rieuses difficultĂ©s semblent grever d’emblĂ©e notre projet : en effet, tandis que la volontĂ© de vie figure au cƓur d’une Ɠuvre publiĂ©e — le Monde comme volontĂ© et comme reprĂ©sentation —, c’est dans les Fragments posthumes que se trouvent les rĂ©flexions les plus nourries au sujet de la volontĂ© de puissance. Il n’y a donc pas de livre intitulĂ© « VolontĂ© de puissance » Ă©ditĂ© par Nietzsche, l’ouvrage auquel ce titre a Ă©tĂ© donnĂ© se composant d’un assemblage de textes restĂ©s Ă  l’état de manuscrits. Les passages de l’Ɠuvre publiĂ©e se rapportant Ă  la volontĂ© de puissance figurent, pour l’essentiel, dans le Zarathoustra (1885), Par-delĂ  le bien et le mal (1886), et la GĂ©nĂ©alogie de la morale (1887)…