Le « scandale » de la philosophie: la question de l’objectivité du monde et l’idéalisme fichtéen
Dans la préface de la seconde édition de la Critique de la raison pure, Kant indique dans une note que le fait d’ « admettre à titre de croyance l’existence des choses extérieures » représente « toujours un scandale pour la philosophie et pour le sens commun en général », dans la mesure où l’idéaliste (matériel) peut douter de cette existence, la charge d’une preuve suffisante incombant alors au philosophe. Si en théologie le scandale est une occasion de péché, en philosophie il est l’occasion d’erreurs, comme en témoignent toutes les formes d’idéalisme non critique qui portent atteinte à cette croyance. Laissant de côté la teneur de la preuve que Kant estime avoir trouvée, on retiendra principalement la valeur de son témoignage qui ne déguise pas les difficultés, comme en attestent dans l’histoire de la philosophie moderne ces tentatives que furent l’idéalisme problématique de Descartes rendant douteuse l’existence des choses ou encore l’idéalisme dogmatique de Berkeley faisant de l’espace et des choses extérieures une pure fiction. Si Kant estime que l’idéalisme transcendantal est un système qui laisse subsister intacte la croyance en l’existence des choses données dans l’expérience, il en est de même de Fichte à ceci près que pour lui le scandale n’en est pas un et que la croyance est positivement le lot de la condition humaine, sans qu’il soit possible de fournir théoriquement une preuve nécessaire et suffisante de l’existence des choses hors de nous. Il va s’agir de voir comment ce qui pour Kant passe pour une déficience momentanée à combler, en appliquant les principes de la philosophie critique, va manifester pour Fichte l’incapacité de la raison théorique à satisfaire par elle-même l’exigence de réalité du Moi ; on se propose donc ici de donner quelques aperçus de l’idéalisme fichtéen en traitant du problème de l’objectivité du monde, car la réduction du scandale va de pair avec ce que Fichte appelle « déduire […] les représentations du monde », c’est-à-dire déduire le monde lui-même à partir du Moi.
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