Les limites de l’humain chez Thomas d’Aquin
Nous nous proposons dans cet article de réfléchir, de façon forcément partielle, sur les limites de l’humain dans la philosophie de Thomas d’Aquin. Nous partirons de généralités concernant les limites de « l’étant fini » quel qu’il soit, la détermination des limites de l’homme impliquant d’abord qu’il soit situé ontologiquement à la fois par rapport à Dieu et relativement aux autres créatures ; nous continuerons en nous tournant vers l’acte humain de connaître, ce qui nous permettra d’en comprendre la portée et les limites ; nous étudierons dans un dernier temps certains textes de la Somme théologique concernant la connaissance humaine de Dieu pour y percevoir à l’œuvre les thèmes que nous aurons rencontrés dans les deux premiers temps de notre étude.
Les limites de l’être humain ne peuvent aux yeux de Thomas d’Aquin être déterminées sans référence à une élucidation philosophique de l’étant fini en général qui s’articule à une distinction proprement théologique entre le créateur et la créature, la limite ontologique de l’étant consistant alors dans la dimension imparfaite du créé au regard de la perfection divine. S’il existe un être infini, ignorant toute limitation, la créature, en revanche, dit le Commentaire des sentences de Pierre Lombard d’une façon encore non technique « a un être fini ». Il faut donc distinguer l’être qui n’est pas reçu en quelque chose, l’être absolu, subsistant et non adhérent, de « l’être fini » qu’il soit une pierre, une plante, un animal, un homme ou un ange. C’est cette réceptivité qui constitue la limite de la créature subordonnée à l’être sans restriction.
La première limite de l’humain tient donc d’abord à son inscription dans le domaine du créé qui implique une dépendance ontologique irréductible. Thomas d’Aquin distingue l’esse, l’acte d’être, qui, pris en lui-même, ne connaît aucune limite et tout ce qui a part à cet acte, les étants finis, qu’on les considère individuellement ou du point de vue de leur essence, leur quiddité. Celle-ci est une participation à « l’être seulement » qu’est Dieu, c’est-à-dire l’être subsistant en lui-même sans qu’il soit accolé à autre chose que lui. Un étant fini est en ce sens composé de puissance et d’acte : il est, mais son acte d’être est toujours limité par une puissance absente de l’acte infini auquel il participe sans se confondre avec lui. Cette composition d’acte et de puissance, qui caractérise tout étant fini, a plus d’extension que celle de la forme et de la matière, laquelle concerne seulement les créatures matérielles et les créatures spirituelles humaines. Les hommes, en effet, sont des composés d’âme et de corps, alors que les purs esprits sont des étants finis composés de puissance et d’acte sans être pour autant des composés de matière et de forme. Les limites de l’homme tiennent donc dans ce cadre à ce que son essence est reçue de l’être, mais aussi à ce qu’il est, en tant qu’individu, un composé de matière et de forme, et que l’essence de l’homme, elle-même finie comme participation à l’être, est chez lui à son tour limitée par la matière comprise comme principe d’individuation.