Qu’est-ce qu’un peuple ?
I. Qu’entend-on par « un peuple » ? Y a-t-il beaucoup d’autres mots dont l’équivocité ait été et soit encore si forte ? Si nous commencions par nous souvenir des sens majeurs, il y aurait au moins ceci :
1. Un peuple se précise par une filiation commune, à la manière d’une « tribu », groupement de familles parlant la même langue, partageant des mœurs analogues, habitant ou parcourant un territoire ; en droit, tous les êtres humains de ce peuple en font également partie. Ici s’exprime une même « vie » zoé, partagée. Le mot peuple a quelque ressemblance avec le mot « population ».
2. Le peuple est, dans cette même tribu, ou dans une société plus large, la partie de la population la plus nombreuse, que l’on distingue des « grands », quelque titre qu’ils prennent : chefs, rois, nobles, seigneurs, lettrés, bourgeois, etc… Des expressions s’attachent à ce sens : « le petit peuple », par exemple. Très souvent les connotations comportent du mépris : il y a la populace ! « le populo ». A cette notion s’attache l’idée de nombre : une quantité, non une qualité d’être. S’en rapprochent des mots comme « la multitude », « la foule » : mots qui notent seulement le nombre ou le rassemblement dans un même espace. Ici se distinguent deux manières de vivre, ou bios : ou bien une vie bonne, digne, ou une vie misérable, comme vouée au malheur. Ici les vies sont inégales.
3. Le peuple est le sujet politique, le peuple est souverain. En effet, quand on considère un peuple, i.e. une tribu, il semble aller de soi qu’elle détermine elle-même et ses modes et lieux de vie, et son droit, et ses choix. Le peuple qu’elle est est donc souverain, autrement dit détient le pouvoir suprême en ce qui le concerne lui-même : quoi d’autre ? A lui de savoir s’il délibère sous forme d’assemblée des anciens, ou de conseil des sages, ou s’il a accepté d’obéir à un chef reconnu, etc. Il n’est pas juste qu’un peuple soit envahi, réduit en servitude par au autre qui en aurait conquis le territoire. Un peuple devrait être libre, déterminer lui-même sa route, pour bien vivre, eu zén.
II. Toutefois, deux façons importantes de parler du peuple ne font pas de lui un sujet politique. On peut les épingler sous les mots « foule », et « population ». « Foule » : ce mot est plus présent au XIXe s que le mot « multitude ». Victor Hugo écrit : « Ah ! Le peuple est en haut, mais la foule est en bas. » (L’année terrible. Prologue. Les 7 500 000 OUI. Écrit en mai 1870).