La violence absolue. Une tentative de compréhension
Haruki Murakami a vécu quelques années en Europe et aux Etats-Unis. Quand il rentra au Japon — alors qu’il vivait encore dans le Massachusetts — il ne faisait qu’un court séjour près de Tokyo, quand il apprit sur place, le 20 mars 1995, qu’une suite d’attentats au gaz sarin s’était produite tôt le matin dans le métro de Tokyo, faisant un très grand nombre de victimes. Quand il revint se réinstaller vraiment au Japon quelques mois plus tard, il commença une enquête, pour tenter de comprendre. Comprendre ce qui s’était passé pour les victimes, comprendre ce qu’avaient fait les meurtriers, et tenter des récits pour combler le silence terrifiant qui suit la question de chacun : « mais pourquoi ? » Il a fait appel à des témoins de bonne volonté, tant du côté des victimes que du côté des adhérents à la secte, en respectant leur anonymat, en respectant aussi leur accord pour la publication. Underground livre ce travail, publié en 1997 au Japon, puis en traduction française chez Belfond en 2013. Il y a des absents dans cette enquête et ce sont les quelques coupables de la secte Aum ; leur procès est évoqué rapidement en épilogue : « Ce fut un spectacle lugubre, déprimant, désespérant. » Sans surprise, les auteurs des attentats invoquent leur obéissance au chef, puis la déception que celui-ci leur a causée, mais l’on sent qu’ils n’échappent pas à la nostalgie de la vie qu’ils ont connue en « renonçant au monde », en vivant entre eux, comme ils le disent. Sans surprise non plus ils furent condamnés à mort, pour les plus importants d’entre eux.
Murakami utilise l’expression de « violence absolue » (partie 6 du chapitre final de la première partie : « Cauchemar aveugle : Où allons-nous, nous, japonais ? ») Et il commente cette expression en ces termes :
« Le tremblement de terre de Kobé, et l’attaque au gaz dans le métro de Tokyo, en janvier et mars 1995, sont deux des pires tragédies de l’histoire du Japon d’après-guerre. On peut affirmer sans exagération que la conscience japonaise a connu une franche mutation entre « avant » et « après » ces événements. Ces deux catastrophes jumelles resteront ancrées dans notre psychisme comme deux bornes dans notre vie en tant que peuple. »
Ces deux cataclysmes successifs « ont eu en commun un élément de violence absolue : l’un a été une calamité naturelle inévitable, l’autre un acte humain terrible. Parallèle ténu, sans doute, et pourtant, pour ceux qui ont été touchés, les souffrances montraient des similitudes effrayantes. La source et la nature de la violence étaient différentes, mais le choc a été aussi dévastateur dans les deux cas. » (Underground, p. 280)


