La puissance réelle chez Spinoza. Sur l’effet de l’interprétation
La notion de puissance (potentia), centrale chez Spinoza, peut être interrogée à partir de plusieurs questions, ainsi celles qui ont été proposées à la réflexion de cet article : 1. Peut-on attribuer une puissance à une chose (res), de sorte que cette puissance puisse être dite propre à la chose, ou lui appartenir ? Ou bien la puissance n’existe-t-elle qu’en tant qu’elle rapporte une chose à une autre exclusivement ? 2. La puissance est-elle une réalité dont une chose dispose, qu’elle possède, de telle sorte qu’il faille en outre en distinguer des conditions d’exercice ? Une telle distinction est-elle perti- nente ? Ou bien, quel type de lien peut s’envisager entre la chose et ses conditions ? 3. La puissance est-elle mesurable ? Puisqu’on dit qu’elle augmente ou diminue, est-elle une quantité, de sorte qu’elle n’est rien d’autre qu’une mesure ? Qu’est-ce qui, exactement, de la puissance se mesure ? Reste-t-il quelque chose de sa réalité si l’on fait abstraction de sa quantité ?
Les éléments de réponse apportés à ces questions ont des implications majeures. En effet, la notion de puissance est en position centrale dans l’ontologie de l’Éthique où elle a rapport au mode de constitution et d’intelligence de la réalité. Présente de manière explicite dans le Traité théologico-politique, elle concerne alors, dans la majorité des cas, la puissance de Dieu ou de la nature, que ce soit dans le langage plus anthropomorphique de la Révélation (ainsi dans les premiers chapitres consacrés à la prophétie), dans celui, plus spéculatif, où s’exposent les grandes définitions du système (chapitre III à partir de la discussion sur la vocation des Hébreux et chapitre VI sur les miracles, chapitre XVI pour le droit de nature), dans la problématique politique du transfert par les hommes de leur puissance. La notion est donc non seulement présente dans le TTP à l’occasion de telle ou telle explication, mais elle s’inscrit dans sa continuité : elle confirme bien l’appartenance du Traité à la logique spéculative de l’Éthique alors même qu’il se déploie dans des questions plus particulières, culturellement très situées. L’objectif de cet article sera donc d’éclairer les questions posées à propos de la puissance à partir de l’exemple d’une chose qui, comme toute chose, doit avoir de la puissance ; il s’agira d’une chose particulière, choisie dans ce traité pour sa manière de conjoindre enjeu spéculatif et objet historique.