Faut-il ou non adopter le mot « création » ?

Le mot « création » fut introduit et maintenu dans notre langue française principalement par la religion chrétienne, qui pose comme premier texte révélé : La genèse, qui fut longtemps imaginée écrite par Moïse, ce héros juif ayant fui l’Egypte, et libéré le peuple des hébreux, comme le raconte le récit romanesque, plein de merveilles, de magie, de plaies, de douleurs, de miracles, de violences, qu’est l’Exode. La voie de la liberté est terrible, et il n’est pas sûr qu’elle mène au but. Ce qui est certain, c’est l’errance dans le désert.

Notre mot « création » impose l’évidence d’un Dieu créateur ; d’un monde créé ; et des créatures qui y vivent, au cours des temps. Et c’est en quoi il est difficile à saisir : c’est un mot lié à la fiction d’un commencement radical des existants ; un mot né dans les mondes mentaux des mythes, et qui indique une opération magique bien plutôt qu’artisanale, car il y est supposé que prononcer un mot (« lumière »!) fait à soi seul la chose, la met dans l’existence : « et la lumière fut ». Aussi « création » est-il un mot tellement pris dans les filets de l’imaginaire qu’il est difficile à adopter en philosophie première, autrement dit en métaphysique. Même une théologie rationnelle qui pose comme première l’existence d’un Dieu qui « crée » le monde, peut préférer user d’autres mots que le mot « création » pour nous inviter à nous représenter la venue des toutes premières existences, ne serait-ce que tout ce qui est « engendrement ». Les disciples de Platon empruntent à son Timée un modèle démiurgique, artisanal : le monde est façonné ; les disciples de Plotin parleront, à la suite des premiers principes que sont l’un et le bien, d’«  émanation » ; Spinoza parle des choses finies comme de modes finis des attributs d’un Dieu substance unique, etc. Globalement, on peut dire que le mot « création » dans notre culture est évité par les philosophes, gênés par son aura sacrée et magique, par son irrationalité.

Cela ne nous empêche pas de continuer d’utiliser le mot dans nos langues, loin s’en faut.

Pour poser la différence entre la métaphysique et les mythologies religieuses, considérons de près ce qui se passe dans l’antiquité, au tout début aussi, au commencement du commencement, quand il n’y avait pas encore de philosophie à proprement parler. Car s’inquiéter de la création du monde, c’est une démarche intellectuelle spontanée, insistante, probablement présente chez tous les peuples, y compris chez ceux qui écartent la question (comme les Indiens, dans le Rig-Véda).

Documents joints