Diderot, le traducteur et son autorité

La traduction par Diderot de l’Inquiry Concerning Virtue de Shaftesbury paraît d’abord sous le titre de Principes de la philosophie morale ou Essai de M. S*** sur le mérite et la vertu (Amsterdam, 1745, s. n.). Cette traduction est reprise en 1751 et 1769, dans deux éditions très différentes d’esprit. En 1751 (Venise), elle reparaît sous le titre de Philosophie morale réduite à ses principes ; le texte de l’Essai sur le mérite et la vertu est suivi des Pensées philosophiques de Diderot et des Maximes de La Rochefoucauld. Cette association est énigmatique : si les Pensées philosophiques se combinent aisément avec la traduction de l’Essai, dans la mesure où elles sont nées elles aussi de la lecture de Shaftesbury, il est très inattendu que soient ajoutées les Maximes. La deuxième réutilisation échappe aux stratégies de publication de Diderot : sa traduction est simplement reprise en tant que traduction existante et non comme élément d’une politique de la pensée de Diderot, par Jean-Baptiste Robinet (1735-1820) en 1769 (Genève, s.n.) dans le cades des Œuvres de Shaftesbury.

Cette traduction n’est pas seulement un travail alimentaire du « jeune Diderot », mais une pièce dans une stratégie qui concerne aussi l’écriture des Pensées philosophiques (publiées en 1745) et de la Promenade du sceptique (commencée en 1747, restée manuscrite jusqu’en 1830). Mon propos n’est pas de confronter point par point la traduction et l’original anglais ; ni d’explorer à partir d’elle l’évolution de la pensée du « jeune Diderot » . Je voudrais plutôt me limiter au problème de l’autorisation de l’écriture. De quelle manière Diderot advient-il par cette traduction à la position d’auteur, et d’auteur de plus que d’une traduction ? Il revendique ce statut à la fin du Discours préliminaire qui ouvre l’Essai sur le mérite et la vertu.

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