La Lettre sur les sourds et muets (1751) de Denis Diderot, une rhétorique du punctum temporis
Quiconque a fréquenté les ouvrages de rhétorique du XVIIIe siècle sait que la tradition oratoire à laquelle se rattache chacun d’entre eux se signale par le rappel imperturbable d’un fonds commun d’exemples. Cette première observation, la Lettre sur les sourds et muets que Denis Diderot fait paraître en 1751 l’illustre à plus d’un titre. La plupart des exemples qu’on y retrouve provient moins, comme l’a souvent relevé la critique actuelle, d’une relecture personnelle des textes, que d’ouvrages de rhétorique et de poétique parus au cours de la première moitié du siècle. De ce nombre, il en est un sur lequel Diderot s’attarde plus volontiers: il s’agit d’un vers tiré du Lutrin de Boileau et qui ‘peint’ en ces termes la figure allégorique de la Mollesse, laquelle ‘[s]oupire, étend les bras, ferme l’œil et s’endort.’ S’il est vrai que ce vers de Boileau avait déjà fait l’objet de nombreux commentaires pendant la première moitié du XVIIIe siècle, depuis la Manière d’enseigner et d’étudier les belles-lettres (1726-1728) de Charles Rollin jusqu’à la Poétique françoise (1736) de l’abbé d’Olivet, on doit surtout observer, à la suite de Diderot, ‘que le poète a quatre actions à peindre […] et qu’en les renfermant toutes quatre dans un seul vers, le poète a satisfait à la promptitude avec laquelle elles ont coutume de se succéder’ (LSM, 170). Autrement dit, ‘peindre’ la succession dans le temps de ces quatre actions réclame du poète de la ‘promptitude’, de sorte qu’avec cette peinture d’une pluralité de moments distincts s’alliant à une exigence de brièveté dans leur rendu se trouve mise en cause une certaine conception du temps propre à l’expérience vécue. C’est ce rapport complexe entre temporalité et concision d’une forme oratoire dont je souhaite proposer l’examen.
https://www.erudit.org/fr/revues/lumen/1999-v18-lumen0281/1012363ar.pdf