Feuerbach et le passage du spéculatif au spéculaire

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« Car l’homme a créé Dieu, du moins le Dieu auquel il croit, il l’a créé et ce n’est pas Dieu qui a créé l’homme (ce sont des vérités acquises aujourd’hui) ; l’homme a créé Dieu à son image et à sa ressemblance, agrandies jusqu’à ce que l’esprit humain ne pût concevoir de dimensions. » (Alfred Jarry, Le Surmâle, 1902).
Cette boutade de Jarry peut faire sourire, pourtant elle est bel et bien ce qui, dans la culture commune, atteste d’une opération philosophique, celle qui a consisté à subvertir la hiérarchie ontothéologique où Dieu était le centre métaphysique du cosmos. Depuis le propos irrévérencieux de Xénophane sur l’anthropomorphisme des dieux grecs jusqu’au trop célèbre mot de Nietzsche sur la mort de Dieu, il y a une histoire de la critique de la représentation de Dieu qui recoupe partiellement celle de l’athéisme. Les religions monothéistes ont contribué elles aussi à la critique de la religion en dénonçant la religion païenne comme religion profane, de nature civique, irrespectueuse de la majesté divine – sans deviner qu’un jour ces instruments critiques leur seraient appliqués à elles-mêmes. Dans cette histoire de la critique de la représentation de Dieu, Feuerbach a toute sa place, comme témoin et comme acteur particulier. Témoin d’une crise qui a affecté l’école hégélienne, après la mort du maître; acteur par son intervention dans les débats relatifs aux rapports de la philosophie et de la religion, et finalement au statut de la philosophie elle-même à travers la genèse de l’illusion religieuse. C’est dans l’œuvre principale de Feuerbach, L’Essence du christianisme, que se joue ce destin de la philosophie et du fait religieux.

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