Concevabilité et possibilité: Kant ou Kripke
De ce que nous pouvons concevoir qu’un F soit G, s’ensuit-il qu’il est possible qu’un F soit G ? Familière à Descartes autant qu’à Hume, cette transition facile du concevable au possible a, dans la philosophie contemporaine, été mise en question par Kripke : parce que quelques vérités nécessaires ne seraient connaissables qu’a posteriori, il pourrait se faire, selon Kripke, que quelque chose soit a priori concevable et cependant impossible.
Aussi originales et fécondes que soient les vues de Kripke sur ce point, force est toutefois de constater que Kripke n’est pas le premier à avoir mis en doute que l’on puisse inférer du concevable au possible. Une semblable mise en question de la « méthode de concevabilité » se rencontre notamment, deux siècles auparavant, dans la philosophie de Kant : il n’y a nulle contradiction dans le concept d’une figure comprise entre deux lignes droites, affirme Kant ; pourtant aucun objet ne peut tomber sous un tel concept .
Les vues du philosophe de Princeton ayant aujourd’hui quelque peu éclipsé celles du philosophe de Königsberg, nous voudrions nous pencher ici sur les raisons du rejet par Kant de la méthode de concevabilité et les comparer à celles avancées par Kripke. Nous allons montrer que le rejet kantien de la méthode de la concevabilité trouve ses racines ultimes dans une thèse antérieure à l’établissement de la philosophie critique : la thèse de l’indéductibilité logique de l’existence. Nous serons ainsi amenés à comparer la conception kantienne de la facticité de l’existence à la conception kripkéenne de la facticité de la nécessité, et à opposer ainsi deux conceptions du possible « métaphysique » et de la manière de le connaître.
https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2008-1-page-7.htm