Montaigne et la tradition philosophique
C’est en prenant un point d’appui sur la tradition ancienne restaurée que l’esprit philosophique s’est affranchi de la scolastique, et le premier acte de cette libération a été, à l’époque de la Renaissance, la joyeuse et enivrante exploration du trésor des pensées antiques. Toutefois, ce n’était là encore qu’une demi-libération , d’abord parce que le pouvoir créateur de l’esprit philosophique restait en sommeil, ensuite parce qu’à une autorité, celle de l’Eglise, des Pères, des Docteurs, d’Aristote, s’en était substituée une autre: celle des Anciens en général. Cette substitution constituait, il est vrai, un gain assuré d’indépendance, puisqu’on pouvait prendre avec cette nouvelle autorité des libertés impossibles avec la première: en effet, elle n’était acceptée, en principe, qu’en vertu d’une critique et d’un choix raisonnés. Il était loisible à chacun de choisir ses doctrines, ses auteurs; de choisir à sa guise ce qui plaît dans leurs œuvres, de les combiner librement.
Toutefois les génies les mieux doués s’accommodent de moins en moins de ces facilités, qui semblent n’être qu’un pâle succédané d’une liberté plus haute: celle de créer des philosophies authentiquement nouvelles. L’esprit philosophique tend alors à prendre à l’égard de la tradition par laquelle il s’est affranchi de l’autorité scolastique, la même attitude de détachement qu’à l’égard de celle-ci. Par là commence le second acte
https://www.persee.fr/doc/barb_0001-4133_1964_num_50_1_54645