Le roi. Platon, République, V, 473c-e

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« A moins que les philosophes ne règnent dans les cités, ou que ceux que l’on appelle à présent des rois ou des hommes puissants, ne philosophent véritablement et suffisamment, et ainsi que régner et philosopher ne s’entrelacent et s’unissent ; à moins que ceux qui, suivant leur naturel, se dirigent les uns vers le pouvoir, les autres vers la philosophie, n’en soient empêchés par contrainte, il n’y aura pas, mon cher Glaucon, de relâche aux maux qui désolent les cités, et même plus, aux maux qui désolent le genre humain ; jamais, la constitution <politéia> même que nous venons de proposer par notre discours ne pourra naître, être réalisée, être vue sous la lumière du soleil. »

Le vocabulaire du pouvoir s’exprime par le verbe basileuein, régner, ou basileus, le roi, ou dunamis politiké, la puissance politique ; il concerne la polis ou cité. Le mot polis est parfois traduit par Etat, mais « Etat » ne s’impose dans la langue politique courante qu’au XVI°siècle en Italie, par le biais de l’italien « stato » – cf. Botero, Machiavel – Autant l’éviter : il est dépendant d’une théorie de la représentation politique qui était inconnue des grecs ; elle nous est venue des moines médiévaux. Malgré les réserves que l’on peut émettre sur la traduction de politéia par constitution, c’est tout de même le moins mauvais équivalent : il a été question, dans la cité de fiction décrite par Socrate, de distinguer, selon trois fonctions, trois sortes de citoyens : d’abord ceux qui assurent la satisfaction des besoins par l’élevage et l’agriculture, par les métiers divers ; puis ceux qui assurent la défense de la cité, les gardiens et gardiennes, vivant en communauté, comme leurs enfants qui sont élevés en commun ; ils sont sans famille, sans biens, sans or ni argent ; et enfin ceux qui vont diriger le tout : les archontes. La cité était née pleine d’humeurs, mais Socrate a pris soin, en un sens, de l’en nettoyer : il a décrié le goût des richesses (République III, 422), et, au moins pour le corps des gardiens et gardiennes, éliminé famille, possession, argent, et par là tout héritage.

Forcément, cette déclaration que Socrate fait ici avec solennité a acquis une immense célébrité, surtout après que Thomas More a forgé le mot « utopie », et décrit une cité philosophique possible, qui existerait bien loin, sur une île qui s’est coupée du continent, dans le quasi « roman » éponyme qu’il publia en 1516, où il proposait pour tout le corps social et politique le renoncement à la propriété privée, aux classes sociales, à l’or : l’égalité était le cas, il y avait très peu de lois, et une religion du seul Soleil.

La notion même de « philosophe-roi » est un pavé qui, tombant dans la mare, éclabousse les poissons, les grenouilles, les libellules, toute la faune qui y prospère, et même les oiseaux qui la survolent. Car qui voudrait d’un roi ? Les grecs avaient été déjà avertis par Esope (fable 66) qu’il faut vraiment avoir une naïveté propre aux grenouilles pour demander un roi, qui, s’il n’est pas une souche, risque d’être une hydre qui mange tout le monde, tellement les rois sont « ravissants » !

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