La matière

Qu’est-ce que la matière ? C’est l’ensemble de la réalité accessible à l’expérience ordinaire et scientifique. Ou plutôt la matière c’est le monde ou ce dont il est fait. Cette différence n’est pas mince : le matérialisme consiste précisément à soutenir la première thèse en l’identifiant à la seconde. La
matière y joue en effet le double rôle d’objet à expliquer – et il n’y en a pas d’autre : c’est le réel, sans arrière-monde – et de principe d’explication.
D’où l’heureuse définition qu’Engels donnait du matérialisme : « l’explication du monde par lui-même (Erklärung der Welt durch sich selbst) ». Mais avant d’être chose ou principe de toutes choses, la matière est un mot et c’est du mot et de son usage qu’il faut partir. La polysémie du mot « matière » contient sinon tous les problèmes philosophiques de sa notion, du moins les principaux, en évitant d’en faire immédiatement une question spécifiquement philosophique ou scientifique. Ou encore le premier problème philosophique de la « matière » c’est le fait de sa polysémie. Par matière on veut dire :- au sens technique, commun entre la philosophie et les sciences, « la substance qui constitue les corps », la substance corporelle. – au sens large, le mot « matière » peut désigner n’importe quoi. Tout objet d’une activité humaine (en matière de …). Il y a autant de matières que de disciplines ou d’activités auxquelles peut s’appliquer le génie humain. La matière est ici sans aucune détermination mais en reçoit de l’activité qui la constitue. On dira qu’une matière se définit comme le corrélat d’une activité qui la détermine en l’informant. La matière est l’objet
qui correspond à toute espèce d’activité humaine qui joue à son égard une fonction de transformation ou d’information. – dans un sens aussi courant et lui-même multiple, on parle de la matière comme de ce sur quoi se constitue la pensée ou l’action. La pensée comme l’action prend appui sur quelque chose qui lui sert de base. On parle ainsi de la matière d’un raisonnement, du contenu matériel de la proposition en opposition à sa simple forme. On distingue entre la vérité matérielle et la validité formelle.

La question est alors de savoir comment la « matière » peut signifier à la fois la substance corporelle (la matière sensible) et le corrélat de l’activité
ou de la forme de la pensée. Cette polysémie est-elle fortuite ou réglée à partir d’une essence de la matière qu’il s’agirait de dégager ?

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