Heidegger et Hegel: distance et proximité

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En 1915, le jeune Heidegger (il avait alors 26 ans) inscrivait en exergue de sa thèse d’habilitation portant sur La théorie des catégories et de la signification chez Duns Scot cette phrase de Hegel, tirée d’un opuscule d’Iéna : « Du point de vue de l’essence interne de la philosophie, il n’y a ni prédécesseurs, ni successeurs ». Le même Heidegger écrivait trente ans plus tard à Jean Beaufret : « Dans le champ de la pensée essentielle, toute réfutation est un non-sens. La lutte entre les penseurs est la « lutte amoureuse » (der liebende Streit) qui est celle de la chose même ». Ces deux citations devraient elles-mêmes servir d’exergue à toute tentative de mise en relation de la pensée de Heidegger avec celle de Hegel. Il ne s’agit en effet ni de faire l’inventaire des points sur lesquels Hegel et Heidegger s’accordent, pour finir par affirmer que Heidegger ne fait que répéter Hegel, ni de recenser tous ceux sur lesquels ils s’opposent, pour se croire autorisé à parler d’un antihégélianisme de Heidegger. Ni successeur, ni réfutateur de Hegel, Heidegger a engagé très tôt et poursuivi très tard une Auseinandersetzung, une « explication » avec Hegel. Engagé très tôt, car c’est dès 1915, dans cette thèse d’habilitation où Hegel est cité à plusieurs reprises et qui conclut à la nécessité d’engager eine prinzipielle Auseinandersetzung avec le système de vision historique du monde le plus puissant, c’est-à-dire avec celui de Hegel. Et poursuivi très tard, puisque l’un des derniers séminaires que Heidegger fera avec ses amis français sera consacré en 1968 à ce même texte de Hegel dont était tiré l’exergue de sa thèse d’habilitation, La différence des systèmes philosophiques de Fichte et de Schelling, séminaire dans lequel Heidegger, d’entrée de jeu, affirme la nécessité d’entrer en débat avec Hegel afin de « le laisser parler » au lieu de « maquiller de notre savoir ce que Hegel a à dire », ce qui implique que nous nous mettions à l’écoute de ce qui à travers le texte hégélien est dit de la Sache selbst, qui, seule, fait autorité

https://journals.openedition.org/rgi/1622